Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/89

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Avant tout, c’était un programme d’une envergure toute ritschlienne, que celui d’une science hellénique résolue à ne pas demeurer un exercice de pure ingéniosité érudite, mais à devenir une restitution de la vie, faite en vue de la vie, par des âmes sensibles autant que pensantes. Wilamowitz n’avait pas alors l’idée d’une telle philologie constructive. Son deuxième pamphlet (Zukunftsphilologie. Zweites Stück, 1873) varie, non sans esprit, les précédents brocards et revient avec obstination aux mêmes querelles. Mais il s’efforce en vain de soutenir que Nietzsche identifie la civilisation grecque et le bouddhisme[1]. Il y a du vrai dans les critiques de détail, mais Wilamowitz se noie dans ce détail. Il était temps de finir cette polémique languissante et d’un juvénile pédantisme et de se recueillir pour un effort plus viril.


II. — L’antagonisme ultérieur de Wilamowitz et de Rohde.


On peut dire que les deux adversaires restèrent affrontés toute leur vie. Bien que Rohde et Wilamowitz aient appris à s’estimer par la suite, le souvenir de leur première et violente passe d’armes ne les a plus quittés. Leurs deux ouvrages principaux, éminents à des titres divers, ont repris, dans leur âge mûr, le sujet de leur discussion d’autrefois. L’Einleitung in die Attische Tragödie de Wilamowitz-Moellendorf (1889) et la Psyché de Rohde (1893) se croisent comme des épées silencieuses.

  1. Wilamowitz songe au passage de Geburt der Tragödie, § 21. (W., I, 145.) « En partant de l’orgiasme, un peuple ne peut plus suivre qu’un chemin, le chemin qui mène au bouddhisme indou. » Mais, en lisant une phrase de plus, on découvre qu’il y a, aux yeux de Nietzsche, un autre extrême : le réalisme romain. La grandeur des Grecs est d’avoir découvert un moyen terme entre le réalisme romain et le pessimisme indou (in classischer Reinheit eine dritte Form hinzuzuerfinden). (W., I, 146.)