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LE GOUVERNEUR

elle poussa un hurlement terrible et traînant, entrecoupé par les mêmes paroles qui venaient sans cesse :

— Je ne peu… eu… eux pas… a… a… as. Mes a… a… a… mis, je ne peu… eu… eux pa… a… as.

Elle s’était élancée dans la rue où tout le monde la suivit. En un instant la « rue des Fossés » tout entière s’emplit d’un seul gémissement féminin dans lequel il était impossible de distinguer des autres la voix de la folle. Ces cris lugubres ne prirent fin que lorsque les employés d’une boutique se saisirent de Nastassia, lui ligotèrent pieds et mains et l’aspergèrent d’eau avec abondance. Elle gisait sur le sol, dans une mare, sa poitrine nue contre la terre, ses mains bleuies et liées faisant le poing. Elle avait tourné son visage de côté, et ses yeux à l’expression sauvage ne clignaient pas ; les cheveux grisâtres et mouillés étaient collés à la tête qui semblait étrangement petite ; par moments, elle frémissait. Le mari, effrayé, arriva en courant de la fabrique, sans avoir pris le temps de laver son visage couvert de suie ; sa blouse était aussi noire et lui-