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LE GOUVERNEUR

d’eau où la doublure rouge de son manteau se reflétait, il traversait tout droit les rues, sans faire attention aux sergents de ville qui le saluaient, ni aux voitures qu’il arrêtait d’un geste. Et si l’on avait pu suivre d’un point élevé son chemin d’attente journalière, on aurait vu que c’était un enchaînement de lignes droites et courtes qui s’enfonçaient les unes dans les autres et s’embrouillaient, telle une pelote piquante et brisée.

Il ne regardait pas souvent de côté et jamais en arrière ; et c’est à peine s’il voyait quelque chose devant lui, tant il était englouti par le gouffre sans fond de la noire attente ; il laissait bien des saluts sans réponse et bien des yeux effrayés se levaient sans s’arrêter sur son regard absent, aveugle et fixe. Longtemps après qu’il eût été tué, quand le nouveau gouverneur, un bel homme très poli, parcourait la ville en voiture au grand galop, entouré d’une escorte de Cosaques, beaucoup de gens se rappelaient l’étrange fantôme, que la vieille loi avait créé : un homme à cheveux gris, vêtu d’un manteau de général, qui marchait droit devant lui, dans la

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