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NOUVELLES

saient terriblement vite, mais le temps n’avançait pas : on eût dit que la machine qui donnait des jours nouveaux s’était gâtée et qu’elle servait sans cesse le même jour. Le calendrier de la table à écrire, que le gouverneur effeuillait toujours lui-même, la veille le plus souvent, comme pour faire venir plus vite le jour suivant, s’était figé à une date ancienne, depuis longtemps passée ; parfois, en jetant les yeux sur ce chiffre noir et froid, il ne se rendait pas compte de ce que c’était ; il sentait une brûlure à la poitrine, une sorte de nausée et détournait vite son regard.

— Sottise ! se disait-il avec colère. Maintenant, quand il restait seul, il prononçait souvent des mots ordinaires, sans les relier à aucune pensée déterminée ; le plus souvent, c’était : « sottise » et « honte ».

Il n’avait pas peur de la mort et se la représentait sous son aspect extérieur seulement : on tirerait sur lui, il tomberait ; puis viendraient ses funérailles, en grand apparat ; derrière son cercueil, on porterait ses décorations, et c’était tout. Il voulait l’accueillir avec courage. Il ne