Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
L’ÉTRANGER

missements ou à des appels. Sur une porte, on avait tracé à la craie le nom de Raïko Voukitch, et c’est de là que venait ce bruit bizarre, qui avait augmenté encore. Tchistiakof frappa ; personne ne lui répondit ; il entra et dans le cadre clair de la fenêtre, il distingua vaguement la petite silhouette pointue de Raïko assis sur la tablette, dans l’obscurité, et chantant d’une voix gutturale, extraordinairement aiguë.

— Raïko ! appela doucement Tchistiakof.

Mais il n’entendait rien. Il n’avait pas entendu la porte s’ouvrir, ni le bruit des pas, ni la voix de son camarade ; il regardait la haute muraille de briques bordée d’une bande de suie noire et il chantait. Il chantait sa patrie lointaine, les souffrances sourdes de son peuple, les larmes des veuves et des mères endeuillées ; il suppliait sa patrie de le prendre, lui, le petit Raïko, de l’ensevelir dans son sein, de lui donner avant de mourir le bonheur de baiser le sol où il était né. Il chantait la vengeance, la haine de l’ennemi, la compassion pour ses frères vaincus, pour le Serbe Royovitch qui avait à la gorge une large blessure noire ; il chantait sa dou-