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EN ATTENDANT LE TRAIN

du train et un bruit égal et sourd résonna. Bientôt ce train va m’emporter d’ici, et pour toujours ce quai bas et petit disparaîtra pour moi, et je ne verrai plus qu’en souvenir la gentille petite jeune fille. Comme un grain de poussière elle retombera dans l’océan des vies humaines et poursuivra son long chemin vers le bonheur.

De nouveau, de derrière le mur, le monstre noir fait irruption, et, retenu par une main puissante, arrête, en frissonnant, sa course vertigineuse. Les wagons s’entre-choquent au milieu du grincement des freins, ils rampent et s’arrêtent avec un bruit étouffé. Tout devient calme ; la vapeur seule siffle, en s’échappant.

Ainsi que le plus âgé des deux ivrognes l’avait prédit, on ne leur permit pas de monter dans le train. Alors le vieillard s’écria avec méchanceté :

— Eh bien, quoi ? Sommes-nous partis ?

— Cela ne fait rien. Ils us prendrons le suivant.

— À celui-là on nous battra…

Je me tenais sur la plate-forme du wagon, vis-à-vis du jeune homme aux cheveux longs. Celui-ci avait les yeux fixés sur la jeune fille svelte qui