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voyage du condottière

ne l’espérait dans le coin d’une place, entre la mer et un étroit canal. Tel est le caractère de l’œuvre sublime : à quelque échelle qu’on la mît, on est sûr qu’elle ne pourrait pas être plus grande qu’elle n’est. Le sublime implique sa propre mesure. De la sorte, si le sublime a toujours la mesure qu’il comporte, il n’y a pas de sublime modéré.

Je flotte dans le rêve de l’or. Je suis pris aux rêts de l’or, je pose sur l’or et je nage dans l’or. J’ai de l’or sous les pieds. J’ai de l’or sur la tête. Un air d’or me touche et me flatte. Et l’encens est une vapeur de l’or. Les profondes et lointaines fenêtres filtrent de l’or, à travers un vitrail de corne jaune ; et l’or s’insinue, comme une onde subtile, entre les nefs, baignant chaque pilier. Et qui ne serait ému de marcher sur les dalles rousses, courbes et gonflées, tortues, comme si elles épousaient la vague souterraine qui les porte ? Les pilotis de Saint-Marc doivent être d’or, forêt de lingots plantés dans la lagune.

Un quadruple cœur d’or, quatre puits de rêve sous quatre coupoles.

L’espace central, que dominent les arcs du haut avec tant de sereine majesté, ce plan inouï du feu le plus dense et le plus pur, voilà le sanctuaire unique au monde ; et, sinon le plus beau, le plus brûlant. D’autant mieux qu’il est vide, et qu’il se dilate ainsi dans une grandeur sans limites : il est le lieu où se coupent et se rencontrent tous les cercles engendrés par la rotation des coupoles. Et ce volume des volumes est tout lumière.

Comme l’or du soleil en fusion, par le bord où il touche, à l’horizon de mer, les nuées grises, blêmit soudain et prend la couleur des lèvres gercées, le long des courbes idéales, aux points où les coupoles de Saint-Marc se croisent, la lumière