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voyage du condottière

pierre ; il en a la couleur de fumée bleue ; et l’on ne croit plus à la chair, mais seulement au mystère des cendres purifiées.

Colleone

Et voici Colleone, la tragédie du grand Verrocchio. Je savais bien qu’il n’était pas à Bergame. Il domine sur Venise même ; c’est par prudence qu’on l’a banni dans l’exil de cette petite place, au bord d’un canal croupi sans avenue ni perspective. Colleone est la puissance.

Qu’il est beau dans la grandeur, mon Colleone. Et combien la grandeur porte toute vérité et toute beauté virile. Un peu moins de grandeur, et l’œuvre serait seulement terrible : elle ne donnerait que de l’effroi.

Colleone à cheval marche dans les airs. S’il fait un pas de plus, il ne tombera pas. Il ne peut choir. Il mène sa terre avec lui. Son socle le suit. Qu’il avance, s’il veut : il ira jusqu’au bout de sa ligne, par dessus le canal et les toits, par dessus Cannaregio et Dorsoduro, par delà toute la ville. Il ne fera jamais retraite. Il va, irrésistible et sûr.

Il a toute la force et tout le calme. Marc-Aurèle, à Borne, est trop paisible. Il parle et ne commande pas. Colleone est l’ordre de la force, à cheval. La force est juste ; l’homme est accompli. Il va un amble magnifique. Sa forte bête, à la tête fine, est un cheval de bataille ; il ne court pas ; mais ni lent ni hâtif, ce pas nerveux ignore la fatigue. Le condottière fait corps avec le glorieux animal : c’est le héros en armes.

Il est grand, de jambes longues, le torse puissant, maigre à la taille, en corset de fer, en amphore de bronze qui s’évase aux