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voyage du condottière

Ce ne sont plus les pignons qui cherchent noise aux nuages ou qui les piquent, coinçant la brume. Les toits sont plats ; des piliers les portent, comme une tente ouverte sur la maison. Les coteaux de la vallée sont des jardins. La vigne y court en arcs, en festons de fête. Les villes ont des noms, qui chantent comme des oiseaux : Bellinzona gazouille, et fait rire ; Lugano roucoule ; Porlezza bat de l’aile, et Bellagio fait la roue.

La lumière, surtout, la lumière est un nouvel espace, où l’on baigne. Les corps en sont pénétrés. Elle caresse les surfaces comme une peau, elle les imprègne. J’y nage, et mes yeux ravis n’ont pas besoin de se fermer dans ce fluide. En vérité, quand là-haut, sur la terrasse, au-dessus de la ville, je découvre Lugano et le lac, la lumière a déjà trop d’éclat. Voici l’Italie.

C’est elle, c’est elle ! Que la vie semble légère ! Et léger, c’est trop peu dire : tout le pays a l’air liquide dans la clarté. La vie y flotte comme une eau, qui épouse tous les bords de la durée.

Les femmes ont les yeux ardents, pleins d’un feu caressant et sombre. Elles portent aux oreilles de larges anneaux d’or ; et le bout du lobe fait chaton de rubis à la bague jaune qui brille.

La démarche de ces créatures est leur premier charme. Elle promet le bonheur dans un noble abandon, et la volupté dans le rythme. Elle ne se jette pas grossièrement dans l’amour ; mais elle le fuit moins encore. Elle fait une promesse qui sera tenue aux hommes de la race.

Elles vont, souples et lentes, sur un rythme royal et fauve, à la joie qu’elles annoncent et qu’elles attendent. Beaucoup ne sont que de belles bêtes. Leur grâce est trop pétillante, pour des femmes. Leur corps est trop court, ou trop rude dans la maigreur. Elles semblent violentes et passives : elles ont trop de feu noir, d’un bois qu’il faut allumer pour qu’il s’enflamme. Enfin, elles