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aurait exaspéré son inspiration ou apaisé son existence. Sa destinée ne lui en donna pas le temps. Ce fut un malheur pour lui. Une femme aurait pu avoir une bienfaisante puissance sur sa vie. Il semble l'avoir senti ; une seule fois, il aurait pu la rencontrer ; mais les circonstances s'y refu- sèrent. L'influence, toutefois, bonne ou mauvaise, fut considérable. Il se trouva rejeté du côté de femmes qui, avec toutes leurs qualités, ne pouvaient plus répondre à l'idéal plus fin et plus délicat qu'il s'était formé à Edimbourg et qui le laissèrent mécontent et insatisfait *.

Il est possible que tous ces griefs soient grossis dans l'analyse qui vient d'en être faite. C'est une nécessité de tout examen un peu microsco- pique. En les laissant retomber à leur grandeur réelle, mais en conser- vant l'idée de leur activité et de leurs blessures incessantes, on voit qu'il y avait là un sourd travail de souffrance et de mécontentement, qui ne pouvait pas tarder à se manifester.

Hélas ! qui démêlera jamais la part de mal contenue dans les événements qui se présentent le plus heureusement et dont nous nous réjouissons le plus ? Comment aurait-on imaginé que ce séjour à Edim- bourgh deviendrait pour Burns une source de déplaisirs, plus funestes que ses malheurs? Et pourtant, c'est un fait, à la fois curieux et pénible à constater. On voit une misanthropie secrète sortir de son succès comme ce « quelque chose d'amer » dont parle le poète, qui surgit des douceurs et les empoisonne. II avait eu jusque-là des chagrins ; mais un homme n'est pas aigri parce qu'il gémit dans la souffrance. Ici une sorte de désen- chantement mystérieux et général semble naître en lui, y exciter la défiance et le mépris des autres. Il faut le remarquer, parce que, à partir de ce moment, cet assombrissement de la pensée ne le quittera plus ; il subsistera sous les clartés et les éclats de son génie, derrière les gaîtés de sa vie, avec cette persistance tranquille des choses ténébreuses, qui semblent sûres que le dernier mot leur restera. On voit paraître les pre- mières paroles chagrines, indices du travail secret et important qui s'est fait en lui, dans ce fameux journal d'Edimbourg, qu'on crut perdu pendant si longtemps, et qui a été retrouvé il y a seulement quelques années *. L'ironie du début est surprenante ; lui en qui l'amitié était un senti- ment si fort.

« Comme j'ai vu à Edimbourg beaucoup de vie humaine et un grand nombre de caractères nouveaux pour quelqu'un qui a été , comme moi , élevé dans les ombres de la vie, j'ai pris la résolution d'écrire mes remarques, à l'endroit même. Gray observe, dans une de ses lettres à M' Palgrave, « qu'un demi-mot fixé sur place

^ Alexandre Smith a deviné un peu de ces sentiments confus, voir sa vie de Burns, Globe Edition, p. 20.

2 Ce journal a été publié pour la première fois dans le Macniillan Magazine de Mars, Avril, Mai, Juin et Juillet l8^8.