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les fougères s'orangent et que les mousses et l'herbe deviennent rousses, ce sont encore des nuances passées, assorties en une richesse sobre et simple. On dirait seulement que le paysage a pris une somptueuse patine. Ainsi rien n'arrête, rien ne trouble l'âme dans ses rêveries, lorsqu'elle se livre à ces montagnes, et qu'elle s'abandonne à suivre ces cimes qui courent en lignes parallèles, se succèdent, montent, coulent, passent doucement de l'une à l'autre, en longues sinuosités belles et graves ^.

Mais il faut pénétrer plus avant vers le cœur du pays, pour en découvrir l'attrait souverain. Il réside dans les hautes vallées désertes, où tournoie l'aigle et où songe le héron; son séjour est dans ces silencieux et verts amphithéâtres de pâturages , sur lesquels plane une paix solennelle. Pas une chaumière, une hutte ; mais seulement, de toutes parts, des blancheurs paisibles de troupeaux de moutons ; on croirait que les vers de Lucrèce, ces vers admirables où est l'âme des solitudes pastorales, ont été écrits dans ces lieux :

« Ssepe in colli, londenles pabula lœta, Lanigerae reptant pecudes, quo quamque vocantes Invitant herbae, gemmantes rore recenti ; Et satiati agni ludunt, blandeque coruscant ; Omnia quae nobis longe confusa videntur, El velut in viridi candor consistere colli -. »

Chacune de ces mille vallées a son cours d'eau dont l'histoire est pareille. Entre des mousses plus vives, un bouillon clair sourd, un ruis- seau s'enfuit à travers l'herbe, court et scintille sous les bruyères, se brise et étincelle dans des rochers et plus loin disparaît, dans une gorge, entre des déchirures rougeâtres et des blocs gris, pour aller plus lente- ment rejoindre les prairies basses. Les vallons latéraux qui débouchent dans ces vallées ont tous aussi leur rivulet qui se divise en filets brillants. On dirait qu'un géant a laissé dans chacun de ces creux un rameau d'argent. Un murmure d'eaux s'exhale de cette solitude sans la troubler car il fait partie d'elle. Par instants, le bêlement des troupeaux se mêle à lui, en une voix partout éparse et plaintive. Et toujours la profondeur du ciel est occupée par les longues ondulations sérieuses des collines, qui deviennent plus légères plus elles sont lointaines et, à l'extrémité de l'horizon, sont tout à fait transparentes et bleues.

Au charme mélancolique de la nature celui des souvenirs s'ajoute ; et tous deux s'accordent 3. Dans les vallées basses, le long des rivières, sont les ruines historiques. Là s'étend la ligne fameuse des abbayes de Mel-

1 J. Veitch. History and Poetry of thc Scoltish Border, p. 11.

2 Lucrèce. Liv. II, 318.

^ Pour les souvenirs historiques ou légendaires et pour les mœurs violentes des Borders voir V Inlroduclion de Walter Scott : Minstrelsy of the Scoltish Border. — Les passages