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Vous connaissez la coutume de nos campagnes d'associer un homme et une femme comme partenaires dans les travaux de la moisson. Dans mon quinzième automne , ma compagne était une ensorcelante créature qui comptait juste un automne moins que moi. La pauvreté de mon anglais me refuse le pouvoir de lui rendre justice dans ce langage, mais vous connaissez notre expression écossaise, elle était une « bonie, sweet, sonsie lass. » Bref, tout à fait sans en avoir conscience, elle m'initia à certaine passion délicieuse, que je tiens, quoi qu'en puissent dire le désappointement aigri, la prudence routinière et la philosophie pédante , pour la première des joies humaines et notre principal plaisir ici-bas. Comment elle attrapa la contagion, je n'en sais rien ; vous autres, médecins, vous parlez beaucoup d'infection en respirant le même air, du toucher etc., mais je ne lui dis jamais expressément que je l'aimais. A la vérité, je ne savais pas bien moi-même pourquoi j'aimais tant à m'attarder en arrière avec elle, quand nous revenions au soir de notre travail ; pourquoi les tons de sa voix faisaient frémir les cordes de mon coeur, comme une harpe éolienne ; et particulièrement pourquoi mon pouls battait une charge si furieuse quand je la regardais et que je tenais dans mes doigts sa main pour en retirer les piquants d'orties et de chardons. Parmi ses autres titres à inspirer l'amour, elle chantait avec douceur, et c'est son réel écossais favori que j'essayai de traduire et d'exprimer en rimes.

Je n'étais pas assez présomptueux pour m'imaginer que je pouvais faire des vers comme les vers imprimés, composés par des hommes qui possédaient le grec et le latin. Mais ma fillette chantait une chanson qui, disait-on, avait été composée par le fils d'un petit propriétaire de campagne, sur une des servantes de son père, dont il était épris. Je ne voyais pas pourquoi je ne pourrais pas rimer aussi bien que lui, car excepté pour goudronner les moutons et mouler la tourbe (car son père vivait dans les moors) il n'avait pas plus d'habileté de savant que moi. Ainsi commencèrent en moi l'amour et la poésie qui, par moments, ont été mon seul et, jusqu'à cette dernière année, mon plus haut bonheur ^.

Celte première chanson , pour laquelle il conserva toujours une tendresse secrète, était, faut-il le dire ? un pauvre essai tout gauche. Lui- même déclarait plus tard qu'elle était « puérile et sotte », mais qu'elle lui plaisait toujours parce qu'elle lui rappelait ces jours heureux où son cœur était honnête et sa langue sincère '. Elle est cependant intéres- sante parle mélange de bonnes intentions et de platitudes, s'embrouillant dans une maladresse de débutant. Elle marque bien d'oii est parti le poète, et permet de mesurer ses progrès.

jadis j'aimais une jolie fillette ,

Oui , et je l'aime encore ;

Et tant que la vertu réchauffera ma poitrine,

J'aimerai ma jolie Nell.

J'ai Yu des fillettes aussi jolies,

Et j'en ai vu mainte aussi bien mise ;

Mais pour un air modeste et gracieux.

Je ne vis jamais sa pareille.

' Autobiographie al Lellcr lo D Moore. 2 Common place Book, Aug 1783.