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ses folies, avec son éloquence enllammée et des élans de regret. On imagine ce que pouvait être sur ses lèvres le tableau de son enfance, des sombres jours de son père, sauvé de la prison par la mort « le dernier et souvent le meilleur ami du pauvre ^ », et la ilamnie qui devait sortir du récit de ses propres passions. On voit la pauvre Clarinda, éblouie par ces regards éclatants, suspendue à cette navrante histoire, prise du désir de guérir ces regrets. Le lendemain, pour compléter ce qu'il avait dit la veille, il lui envoya sa lettre au D"" xMoore. Elle la lut, et, avec un vrai instinct féminin, elle s'appliqua la scène éternelle oii la pitié fait naître l'amour. Elle songea aussitôt à Desdemona troublée du récit des souf- frances et des dangers d'Othello. Elle y songea parce que son cœur lui disait les mêmes choses qui sont exprimées dans ce passage d'une humanité si profonde. Et la ressemblance n'était pas déjà si lointaine. [| y avait quelque chose de la rudesse, de l'origine vulgaire et presque de l'aspect du maure, dans cet homme au teint brun et aux yeux noirs flamboyants, qui répandait son récit d'épreuves et d'aventures. C'est le prix de ceux qui les ont traversées qui fait le prix de ces péripéties. Les exploits du guerrier noir ne sont après tout que le fait de maint soldat, mais la fille du sénateur eut raison d'en être éblouie. La vie de Burns sembla justement, à celle qui l'écoutait ainsi, douloureuse et presque également héroïque : à coup sûr elle avait eu une endurance et une vaillance égales. Clarinda avait senti juste en allant droit à cette scène. Elle avait touché ce que les sentiments ont de commun, sous les diversités de situations, de langage et de ciel. Sa tendre compassion était bien sœur de celle de Desdemona. C'est sûrement un des points curieux et touchants de cette correspondance.

Deux fois, je l'ai lue avec une grande attention. Quelques parties m'ont « dérobé mes larmes.» Avec Desdemona jai ressenti que « c'était pitoyable, que c'était merveil- leusement pitoyable ». Quand j'arrivai au paragraphe où il est question de lord Glencaini, j'éclatai en larmes. C'était ce délicieux trop plein du cœur, qui sort d'une combinaison des sentiments les plus doux. Rien ne lie davantage un esprit généreux que de lui témoigner de la confiance. Je l'ai toujours éprouvé. Vous semblez avoir eu l'intuition de ce trait de mon caractère, et c'est pourquoi vous m'avez confié vos fautes et vos folies. La description de votre première scène d'amour m'a ravie. Elle m'a rappelé l'idée de quelques circonstances tendres qui m'arrivérent à la même période de la vie. Seuleaient, les miennes n'allèrent pas si loin. Peut-être, en retour, vous raconterai-je les détails quand nous nous verrons. Ah ! mon ami, les premières émotions d'amour sont assurément les plus exquises. Dans les années plus mûres, nous pouvons acquérir plus de connaissances, de sentiment; mais rien de ceci ne peut donner les mêmes ravissements que les chères illusions de la jeunesse qui font battre le cœur. Comme la vôtre, la mienne était une scène rurale, ce qui ajoute encore à la tendre rencontre. Mais assez de ces souvenirs 2.

1 To Robert Grahani of Finlry. Jan. n88.

2 To Sylvander. Jaa. 7th n88.