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endormir les scrupules religieux de Clarinda et donner à ses déclarations un air de dévotion.

Clarinda, puis-je compter sur votre amitié pour la vie? Je ponse que je le puis ! Toi, Sauveur tout puissant des hommes ! J'ai jusqu'à présent trop négligé ton amitié; me l'assurer sera mon souci constant, pendant tous les jours et les nuits futurs de ma vie. L'idée de ma Clarinda s'ensuit :

Cache-la, mon cœur, dans ce vêtement secret, Où, mêlée à celle de Dieu, sa chère pensée repose.

Mais je redoute l'inconstance, imperfection qui résulte de la faiblesse humaine. Rencontrerai-jeune amitié qui défie les années d'absence, et les chances, et les change- ments de la fortune? Peut-être ^' ces choses-là exislent-elics ». 11 y a un seul honnête homme, de qui j'espérerais une telle chose ; mais qui, excepté un écrivain de romans, pourrait croire à un amour qui prome'trait pour toute la vie, en dépit de la distance, de l'absence, des chances, des changements, et cela, avec de frêles espérances de possession ?

Pour ma part, je puis me répondre moi-même à ces deux exigences: « Tu es cet homme-là. -^ J'ose, avec une froide résolution, j'o'^e déclarer que je suis cet ami et cet amant. Si le se\e féminin est capable de telles choses, Clarinda l'est. Je crois qu'elle l'est, et je sens que je serai misérable, si elle ne l'est pas. Il n'y a pas une des vertus qui donnent de la valeur, ou des sentiments qui font honneur au sexe, qu'elle ne possède à un degré supérieur à toutes les femmes que j'ai jamais vues: son esprit exalté, aidé un peu peut-être par la situation où elle se trouve, est, je le pense , capable de cet enthousiasme d'amour noblement romanesque. Puis-je vous revoir mercredi soir? Le mercredi, qui viendra ensuite, sera, je le prévois, un jour ha'i de nous deux. . . Trois soirées, trois soirées au vol rapide, avec des ailes de duvet, sont tout le passé ; je n'ose pas calculer le futur. . .

La quatrième de ces soirées aux ailes rapides, celle du mercredi 23 janvier, fut un pas de plus dans ce sentier que Shakspeare appelle : « thc primrosc way lo the everlasting ])onfire * ». Si la précédente avait été l'entrevue des aveux, celle-ci semble avoir été celle des caresses. On devine qu'elle fut plus ardente de la part de Burns et pour Clarinda plus périlleuse. Chambers, qui suit cette histoire de passion avec dignité et convenance et en note les phases avec une ponctualité grave, le constate dans son langage : « Dans cette rencontre, il semblerait que les commu- nications des deux amants furent d'une nature plus fervente et moins réservée que jusqu'alors, à ce point de vue qu'elles laissèrent dans le sein de Clarinda, des réflexions où elle s'accusait elle-même-. »

Le lendemain matin, les deux amants s'écrivirent chacun une lettre dans laquelle s'exprime l'état d'âme où ils se trouvaient. Celle de Burns est une fantaisie travaillée , sans beaucoup d'esprit et sans l'ombre de passion. Il prend un thème sur lequel il ])rode quelques variations. Ce n'est qu'une interminable et froide conjecture, où il imagine que la

^ Shakspeare. Macbeth, act. u, se. 3. 2 R. Chambers, tom II, p. 206.