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poésie capable de suspendre des rêveries à une aventure banale et qui explique la vulgarité de tant de délicates amours de poètes? Quelle lassitude de joug et de régularité? Quel besoin d'oublier les laideurs de la vie qu'il menait? Quel égarement irrésistible, quelle lente approche, quel consentement libre l'y avaient conduit? Peut-être y avait-il un peu de tout cela dans la minute irréparable qui livrait sa vie au désordre.

Il est probable qu'il eut avec lui des débats, qu'il se plaida des circons- tances atténuantes. On a de lui une lettre bien curieuse, qui, d'après un rapprochement facile de dates, doit coïncider avec les débuts de cette aventure : elle est du mois d'août 1790. Il est impossible de ne pas remarquer avec quel sophisme subtil il confond les désavantages de la poésie avec ceux des faiblesses, et avec quelle adresse il les fait sortir tous du tempérament poétique.

Il n"y a pas, parmi tous les marlyrologes qui furent jamais écrits, une histoire aussi laraental)!e que les vies des poètes. Lorsqu'on compare entre eux les misérables, le critérium n'est pas ce qu'ils sont condamnés à souffrir, mais comme ils sont formés pour supporter. Prenez un être de notre espèce ; donnez-lui une imagination plus forte et une sensibilité plus délicate qui, à elles deux, engendreront une lignée plus ingouvernable de passions que celles qui sont d'ordinaire le lot de l'homme ; implantez en lui une impulsion irrésistible vers de vaines fantaisies, telles que d'arranger les fleurs sauvages en bizaries bouquets, découvrir la cachette du grillon, au moyen de sa chanson bruissante, guetter les jeux des petits vairons dans l'étang ensoleillé, ou poursuivre les intrigues des capricieux papillons ; eu un mot, envoyez-le à la dérive après quelque poursuite qui le détournera éternellement des voies du gain ; — et cependant donnez-lui, comme malédiction, un goût plus vif qu'à tout autre homme pour les plaisirs que le gain peut acheter ; enfin remplissez la mesure de ses maux en lui inspirant un sentiment hautain de sa propre dignité ; vous aurez ainsi créé un être presque aussi misérable qu'un poète. Ce n'est pas h vous. Madame, que j'ai besoin d'énumérer les plaisirs féeriques que la muse accorde pour contrebalancer ce catalogue d'infortunes. La séduisante poésie est comme la séduisante femme ; elle a été de tous temps accusée d'égarer les hommes loin des avis des sages et des sentiers de la prudence, de les entraîner dans les difficultés, de les tourmenter par la pauvreté, de les marquer d'infamie, de les plonger dans le tourbillon dévorant de la ruine. Cepen- dant où est l'homme qui n'est pas obligé d'avouer que tout notre bonheur sur la terre ne mérite pas ce nom, — que même la perspective solitaire d'une félicité paradisiaque qui hante le saint hermite n'est que la lueur d'un soleil septentrional se levant sur des régions glacées, en comparaison des nombreux plaisirs, des extases indicibles que nous devons à l'aimable Reine du cœiu" de IHonune K

Ces lourdes voluptés lurent secouées par un cruel réveil. Quel déchaînement de remords et de terreurs hurla tout à coup en lui le jour où il apprit qu'Anna Park était enceinte ! Il le connaissait ce drame-là. Cette fois il le voyait plus redoutable encore. Les parents d'Anna n'étaient peut-être pas très difficiles à apaiser, car Burns continua à

1 To Miss H. Craik, Aug. n98.