Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/447

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

- 436 -

fréquenter l'auberge et à y être bien reçu. Le barde y amenait des amis, et quand il était là, la dépense roulait. Mais si la chose était divulguée! Il était marié; il était fonctionnaire. Quel scandale! C'était la ruine! Il fallait à tout prix que l'accouchement lut secret, si l'on voulait éviter la censure ecclésiastique. Anna Park partit pour Edimbourg, oii elle fut reçue chez une sœur mariée ^ Le 31 mars 1791, elle y accoucha d'une fille. Comment élever l'enfant, soutenir la mère, détourner l'argent des maigres revenus? Quels tracas, et que les heures de l'auberge du Gloèe coûtaient cher! Mais les coups se succédaient rapidement, terribles! Il paraît prouvé qu'Anna Park mourut en donnant le jour à son enfant. Que faire, que faire de cette orpheline? Le vieux toit de Mauchline fut encore le refuge ; la vieille mère dut recevoir encore les confidences de Robert, et verser des larmes plus amères que toutes celles d'avant. Le bébé y fut soigné pendant quelques jours. Chose affreuse et faite comme à dessein pour donner à ce drame toute sa cruauté ! Jane Armour était elle-même au terme d'une grossesse. Elle accoucha le 9 avril, dix jours après, d'un fils. Attendit-on, pour lui causer cette souffrance, que la crise fût passée, et la joie d'un fils né d'elle fut-elle empoisonnée par cette nouvelle? ou bien savait-elle tout auparavant et dut-elle traverser les douleurs de l'enfantement avec une âme saignante?

Jane Armour fut admirable. Elle agit comme une femme d'un grand cœur. Elle se fit apporter la fille, et sur la même poitrine, du même lait, nourrit les deux enfants. Lorsque son père, qui était venu la voir, lui demanda, en les apercevant dans le même berceau, si elle avait encore des jumeaux, elle lui répondit qu'elle soignait l'enfant d'une amie malade. Elle éleva la fille d'Anna Park, au milieu de ses fils, avec des soins maternels, jusqu'au moment où le mariage l'éloigna de la maison. Par ce trait de clémence héroïque et dévouée, sa mémoire demeure adorable. Quelles qu'aient été ses défaillances dans les commencements de sa liaison avec Burns, tout disparaît dans la beauté, dans la splendeur, dans la grâce de ce pardon ^.

Jane Armour ne fut pas sans sa récompense. Burns, éclairé par cette générosité, eut vers elle, vers cette âme qu'il n'avait pas connue tout entière jusque-là, un élan de vraie et haute tendresse. On a de lui une lettre écrite le 11 avril, à M'* Dunlop, dans laquelle il exprime pour sa femme des sentiments presque nouveaux. Il avait parlé d'elle avec plus de passion ; jamais encore avec cette affection, cette place accordée aux qualités morales et cette sorte de respect. La reconnaissance y perce pour « la simplicité d'âme » et « la douceur toujours prête à céder », qui sem- blent avoir été les principes de la belle action de Jane. Cet éloge a comme

1 Scott Douglas, lom. II, p. 294.

2 R. Chambers, tom. JII, p. 254.