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D"" Maxwell, par qui Bnrns avait été soigné, laisse entendre que le mal était d'une autre nature. Voici du reste sa déposition technique, dans toute sa précision et sa gravité. C'est en même temps ce qu'on sait de plus clair sur l'état physique de Burns.

Quoique naturellement d'une forme alhlélique, Burns avait dans sa constitution les particularités et les délicatesses qui appartiennent au tempérament du f^énie. Il était exposé, depuis une période très jeune de sa vie, à cet arrêt dans le progrès de la digestion qui résulte d'une pensée profonde et anxieuse, et qui est quelquefois l'effet et quelquefois la cause d'une dépression de vitalité. Lié à ce désordre de l'estomac, il avait une disposition aux migraines, qui affectait plus spécialement les tempes et le globe de l'œil et qui était fréquemment accompagnée de mouvements du cœur violents et irréguliers. Doué par la nature d'une grande sensibilité de nerfs, Burns était, dans son système corporel aussi bien que mental, exposé à des impressions déréglées, — à la fièvre du corps aussi bien qu'à celle de l'esprit. Cette prédisposition à la maladie, qu'une stricte tempérance dans la diète, un exercice régulier, un sommeil solide auraient pu vaincre, fut fortifiée et enflammée par des habitudes d'une nature toute différente. Perpétuellement stimulée par l'alcool, sous l'une ou sous l'autre de ses diverses formes, l'action désordonnée du système circulatoire devint à la fin habituelle, le travail de nutrition fut incapable de pourvoir à la déperdition, et les pouvoirs vitaux commencèrent à faiblir.

Pins d'une année avant sa mort, il y avait un déclin évident dans l'apparence personnelle de notre poète, et quoique son appétit se maintint, il sentait lui-même que sa constitution s'abaissait. Dans ses moments de pensée, il réfléchissait avec le regret le plus profond à son fatal acheminement, prévoyant clairement la fin vers laquelle il se hâtait, sans avoir la force de volonté nécessaire pour arrêter ou même ralentir sa course. Son caractère devint plus irritable et plus sombre ; il se sauvait de lui-même dans des sociétés, souvent de l'espèce la plus basse. Et dans cette compagnie, on fran- chissait vite ce moment des réunions joyeuses où le vin augmente la sensibilité et excite la bienveillance, pour arriver au moment qui est au delà et sur lequel régnait généralement la passion sans contrôle et sans frein. Celui qui souffre la pollution de l'ivresse, comment échappera-t-il à une autre pollution ? Abstenons-nous de men- tionner (les erreurs sur lesquelles la délicatesse et l'humanité tirent un voile i.

On a blâmé Currie d'avoir parlé. C'est à tort, puisque c'était la vérité. Personne ue peut le soupçonner de n'avoir pas aimé le pauvre poète. S'il a mentionné ce point délicat, avec la conscience de sa profession, il l'a, selon .sa propre expression. « touché avec tendresse ^ ». Il a fait acte d'honnêteté et de pitié, comme un médecin qui connaît et plaint les misères humaines. C'est surtout dans une biographie comme celle de Burns , qu'il faut de la franchise ; ceux qui , j)ar des réticences ou des oublis, la défigurent, la mutilent ou la masquent, lui retirent une partie de son intérêt et de son enseignement. Ils appliquent le mensonge à la mémoire d'un homme qui le détesta et le méprisa par-dessus tout, et qui, avec toutes ses fautes, eut du moins la fierté de ne pas les dissimuler et le

' Currie. Life of Burns, p. 50.

~ Lettre de Currie à uu correspondant, citée par Scott Douglas, tom VI, p. ITS.