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Ainsi le tumulte de ces jours tourmentés était abattu, et ce cœur agité en repos, pour toujours. Mais ce paysan était une figure qui devait vivre dans la mémoire des hommes, et sa vie reste un sujet d'étonnement et de réflexions. Elle est souvent mal jugée pour des motifs opposés : par excès d'indulgence ou excès de sévérité.

Certains biographes, soit par candeur naturelle, soit par préjugé national, soit par besoin de prédication, ont tenté de faire de Burns une créature inoffensive et sans souillure. Ils ignorent ou ils cachent ses mauvaises actions. Ils créent un homme vertueux et parfait dont la carrière est exemplaire. Comment n'a-t-on pas vu qu'on enlève ainsi au drame de sa vie sa tragique beauté, son intérêt, sa leçon et une partie de son mérite? Les candides qui veulent ainsi, en dépit de tout, innocenter ceux qu'ils admirent feront bien de ne pas s'approcher de cette existence. Dans un sentiment louable, ils la défigurent et la faussent. Ils se rendent coupables eux-mêmes d'une altération de la vérité.

Mais que d'autres s'en approchent encore moins ; les rigoureux, les stricts, les sévères, les vigilants, les inflexibles, les indignés, les inexo- rables, les impeccables, les extérieurement exacts, les contrits, les irré- préhensibles, les partisans de la voie étroite, ceux qui « nettoient le dehors de la coupe et du plat, mais dont l'intérieur est plein de méchan- ceté ^ », toute la race des pharisiens, les unco good,

vous qui êtes si bons vous-mêmes,

Si pieux et si saints,

Vous n'avez rien à faire qu'à noter et raconter

Les fautes et la folie de votre voisin 2.

Comment pourraient-ils parler d'une existence comme celle-ci, pleine de défaillances, mais rachetées par des clartés qu'ils ne perçoivent pas ? Elle ne saurait être pour les violents d'entre eux qu'une occasion de scandale, de réprobation et d'anathème ; et pour les sournois qu'une occasion de fausse commisération et de fiel doucereux. D'ailleurs , à quelle vie humaine peuvent-ils toucher, puisqu'aucune n'est exempte de faute et qu'une faute aux yeux de ces purs suffit à gâter une vie? A quelle vie peuvent-ils toucher, puisqu'ils ne comprennent pas que le repentir efface et renouvelle tout, comme le printemps change en bourgeons les feuilles mortes amassées au pied des arbres ? En vérité, ils ne peuvent parler de rien d'humain ; car ce ne sont pas des hommes :

Celui qui n'est pas apaisé par le repentir. N'est ni du Ciel ni de la Terre 3.

1 Luc XI. 39.

2 Address lo the Unco' Good or the Rigidly Rightuous. Shakspeare.