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pour Cowpcr l'honneur d'avoir le premier exprimé cette idée n'ont pas assez remarqué qu'elle était incompatible avec sa doctrine. Il y avait en lui lutte entre les aspirations de son généreux esprit et sa théologie. Celle-ci l'a tenu à l'écart de la conception moderne de la vie, et l'a empêché d'être un des interprètes de la forme de vérité ou tout au moins d'espérance sur laquelle vit l'humanité présente. Dans l'étude de l'homme comme dans celle de la nature, il n'a été moderne que sur le terrain de l'observation particulière et personnelle, parce que là son âme seule agissait. Dès qu'il a tenté de généraliser, il a été retenu dans un système vieilli et étroit.

Mais, pendant que Cowper se débattait dans les entraves d'une théo- logie dure, des âmes plus libres et plus ouvertes arrivaient. Au moment où la Task fut publiée , en 1785, Wordsworth avait quinze ans ; Walter Scott, quatorze ; Coleridge, treize ; Southey, onze ; Walter Savage Landor en avait dix. Cette génération reprit le mouvement de Cowper, là où celui-ci l'avait abandonné. Ces jeunes âmes étaient hantées de visions merveilleuses et confuses. Elles souhaitaient le Progrès infini, la Liberté, la chute du Despotisme, l'abolition des souffrances dont la source est humaine. Elles portaient en elles l'attente d'un âge meilleur, d'un âge d'or. Ce n'était plus l'arrivée d'une apparition divine, c'était l'œuvre de l'humanité, le triomphe de la justice par la Raison, du progrès accompli par l'effort de tous. Cette espérance était comme un malaise, elle faisait souffrir comme un rêve dont les contours flottants rendent la beauté douloureuse.

La Révolution française éclata. Jamais une aurore n'a transformé plus soudainement des vapeurs indécises en étendards de pourpre , n'a changé plus vite un crépuscule en triomphe. Toutes ces aspirations, ces désirs, ces souhaits, qui flottaient dans ces jeunes vies, prirent une forme, une couleur et une beauté. Cette jeunesse éprise d'un idéal indéterminé sentit le jour se faire en elle, et les pressentiments qu'elle portait s'éclairer, se former en éclatants espoirs. Les âmes s'emplissaient de lumière et deve- naient radieuses. Rien ne peut rendre l'impression magnifique, le frisson grandiose qui passa dans les cœurs les plus généreux du pays. Ce qu'ils avaient rêvé était là ! L'aurore était là ! L'aurore de la Justice et de la Paix! Ce fut un cri d'admiration et de foi, un transport d'enthousiasme. Tous les poètes éclatèrent en un chœur de triomphe :

L'Europe en ce momeut frémissait de joie,

La France était debout sur la cime d'heures dorées,

Et la Nature humaine semblait naître à nouveau i.

1 \Nordsworth. The Prélude, Book vi.