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Ce fui un monieut unique et superbe. Ceux qui y vécurent n'en purent jamais parler sans émotion, sans un retour de l'ancienne ivresse. Words- worth s'écriait plus tard :

plaisant exercice d'espérance et de joie !

C'était un bonheur de vivre dans cette aurore,

Et être jeune alors, c'était le ciel même I. . .

Ce n'étaient pas seulement les lieux favorisés, mais la Terre entière

Qui portait la beauté de la promesse, la beauté qui met

La rose entre-éclose au-dessus de la rose pleine-éclose.

Quel tempérament à cette vue ne s'éveilla pas

A un bonheur inattendu ? Les inertes

Furent excités ; les natures vives, transportées *.

C'est dans Wordsworth, le suprême poète de cette époque, qu'il faut retrouver les mouvements dont les cœurs furent remués. Je ne connais pas de plus admirable poésie, de plus élevée, de plus virile, de plus humaine , que toute la partie du Préhde où Wordsworth raconte ses sentiments pour la Révolution Française. Ce sont de superbes pages d'histoire, palpitantes du souffle de ces temps, d'une ampleur épique, les plus belles, les seules qu'on ait écrites à la taille de cette puissante tragédie. Quelques pages du Roman de Quatre- Vingt- Treize donnent l'idée de ces âmes haussées au-dessus d'elles-mêmes et gran- dissant avec l'orage ; mais c'est avec quelque chose de théâtral. Il y a plus de simplicité , de vérité dans Wordsworth. C'est une lecture inoubliable.

Il était naturellement républicain et lui-même en a donné les raisons. Il avait été élevé dans une région pauvre, où tout le monde vivait dans une simplicité et dans une égalité antiques. Son séjour à l'Université, où les distinctions sont ouvertes à tous, où les règles académiques ont quelque chose de républicain, avait laissé grandir ces premières impressions. L'influence puissante de la Nature, sa vaste égalité, la liberté de ses mon- tagnes, les avaient encore fortifiées 2. A son premier voyage en France, il débarqua à Calais, la veille du grand jour de la Fédération ^. Avec un ami, le bâton à la main, il poursuivit sa route à travers des hameaux et des villes, ornés des restes de cette fête, de fleurs qu'on laissait se faner aux arcs triomphaux ou aux guirlandes des fenêtres. Partout il trouva la bienveillance et la joie se répandant, comme un parfum quand « le prin- temps n'a pas laissé un coin du pays sans le toucher ». Il vit, sous l'étoile du soir, les danses de la liberté. Il but avec les délégués qui revenaient

1 Wordsworth. The Prélude, Book xi.

2 Voir The Prélude, Book ix.

3 Voir tout ce beau voyage de Words-worth, si plein d'enthousiasme et du frémissement de tous, The Prélude, Book vi.