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Ils redevinrent Anglais. Les guerres contre Napoléon les renfermèrent encore davantage dans leur patriotisme britannique. Pendant quelque temps, la poésie humanitaire, commencée par Cowper, sembla disparaître. Mais un peu plus tard, après Napoléon et la tragique conclusion de Waterloo, Byron et Shelley reprirent les chants de leurs aînés. Byron fut surtout frappé par le côté épique de la légende napoléonienne ; Shelley attiré par les aspirations républicaines et socialistes. La poésie anglaise reprit avec eux son large courant d'inspiration libérale qui se continue aujourd'hui, avec un flot plus trouble et plus violent, dans les œuvres de poètes contemporains.

Si nous avons exposé dans le détail la tendance humanitaire de la poésie anglaise et les échos que la Révolution française éveilla en elle, c'est qu'il nous aurait été' impossible autrement de comprendre en quoi Burns a partagé les aspirations et les émotions de ses contemporains, sur quels points il s'est distingué ou séparé d'eux. N'oublions pas que Burns, selon la remarque du professeur Masson, est un des maîtres esprits de la seconde moitié du xviii" siècle, peut-être supérieur à Wordsworth et même à Coleridge, égal à Burke ; un de ceux qui dominent leur temps i. C'est sur ces hautes intelligences qu'on voit passer le souffle d'une époque. Ce sont les cîmes de la forêt humaine ; elles frémissent plus tôt et plus fort que les autres ; elles pressentent l'orage ou l'aurore, et elles en restent plus longtemps agitées. Il ne saurait être indifférent de savoir quels effets les grandes idées qui ont passé par les âmes que nous venons d'étudier ont produit dans celle de Burns.

Comme les autres poètes, Burns a marché du côté de la Liberté. Sa nature irrégulière, impatiente de toute discipline ; la forme démocratique de l'Église écossaise ; les vagues traditions d'indépendance nationale ; les souvenirs récents des derniers efforts tentés pour la reconquérir ; une habitude précocement prise de ne juger les hommes qu'en les dépouillant de leurs titres et de leur rang, tout cela faisait un mélange un peu confus qui le disposait à saluer la Liberté sous quelque forme qu'elle s'offrît à lui. Ce sentiment très réel resta assez longtemps en suspens. Il s'exprimait d'une façon assez vigoureuse, mais sans prendre pied dans la réalité, un peu à la façon des déclamations classiques sur la Liberté. C'était comme une aspiration qui ne savait oii se fixer , incapable de saisir des faits et s'exerçant sur des prétextes. Tantôt , c'était le discours de Robert Bruce à ses soldats, une ode vigoureuse et martiale ; tantôt, une ode en l'honneur de Washington. Mais, quelque admiration qu'il eiît pour l'ancienne indépendance nationale ou la révolte américaine, c'étaient des choses du passé. Il était plus près de la réalité quand il

i David Masson. Essays chieflij on English Poets dans l'Essai surWordsworth. p. 384.