Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/242

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

- 218 -

jamais les foules anglaises se soulèvent pour briser des formes sociales qu'on aura eu l'imprudence de vouloir conserver trop longtemps, c'est dans l'ode à F Arbre de la Liberté, ou dans celle sur L'honnête Pauvreté, qu'elles trouveront les refrains, au rythme desquels elles marcheront. C'est justement que Robert Browning, dans une de ces courtes pièces oii il condense un drame, faisant pleurer à un homme du peuple la perte d'un chef, passé en transfuge du côté des richesses et des honneurs, invoque le nom de Burns et le met, à côté de Milton et de Shelley, parmi les poètes révolutionnaires de l'Angleterre ^ .

Il convient d'ajouter que ce redressement contre les riches ne revêt pas toujours ce caractère d'animosité. Il arrive souvent à Burns de maintenir l'égalité, en rehaussant l'existence des pauvres plutôt qu'en dénigrant celle des riches. Il y a, surtout dans les œuvres de sa jeunesse, maint passage de bonne humeur, oii la Pauvreté nargue l'Opulence et la défie gaiement d'être aussi heureuse qu'elle. Q'iraportent les sacs d'écus, les titres et le rang? Est-ce qu'on ne porte pas son bonheur en soi-même? Dès qu'on est honnête homme, qu'on a la conscience claire et libre, ne loge-t-on pas en soi la paix et le contentement? La nature n'offre-t-elle pas ses charmes à tous également? Les pauvres n'ont-ils pas leurs amitiés et leurs amours, plus fidèles et plus purs souvent que ceux des riches? Et le cœur oii brillent ces flammes n'est-il pas plus riche que des cœurs éteints au milieu de la plus éclatante fortune ? Les pauvres n'ont rien à envier à personne. L'Épitre à Davie a exprimé cette insouciance, ce vaillant défi à la misère, cette joyeuse résignation à son sort.

Il est à peine au pouvoir d'un homme

De s' empocher parfois de devenir aigre,

En voyant comment les choses sont partajïées,

Comment les meilleurs sont par moments dans le besoin,

Tandis que des sots font fracas avec des millions,

Et ne savent comment les dépenser. Mais, Davie, mon gars, ne vous troublez pas la tête,

Bien que nous ayons peu de bien ;

Nous sommes bons à gagner notre pain quotidien,

Aussi longtemps que nous serons sains et forts.

N'en demandez pas plus, ne craignez rien,

Souciez-vous de l'âge comme d'une ligue,

La fin de tout, le pire de tout,

N'est après tout que de mendier.

Coucher, le soir, dans les fours à chaux et les granges , Quand les os sont caducs et que le sang est mince , Est sans doute grande détresse ! Même alors le contentement pourrait nous rendre heureux ;

1 Robert Browning. The Losl Leader.