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phies, est, en poésie, la création et le glorieux domaine de Wordsworth. Dans cette conception nouvelle l'homme et la Nature existent également; il ne la supprime pas au profit de la Divinité ; elle ne l'absorbe pas. Tous deux vivent : la Nature dans sa richesse; lui, dans son indépen- dance vis-à-vis d'elle. Mais il est toujours en contact avec elle ; il y a entre eux une sorte d'harmonie préétablie ; il est créé pour la percevoir ; elle, pour être perçue par lui.

Avec quelle délicatesse l'Esprit individuel

(Et peut-être tout autant les facultés progressives

De l'espèce entière) au Monde extérieur

S'adapte ; avec quelle délicatesse aussi,

(Et ceci est un thème que les Hommes ont pu entendre)

Le monde extérieur s'adapte à l'esprit i .

Il y a donc une sorte d'ajustement, de fiançailles, d'union, entre l'esprit humain et la Nature. Il la perçoit dans sa vie innombrable et splendide ; mais cette vie n'est pas tout : la raison d'être de l'Univers n'est pas comprise en lui-même, ni sa signification ; il n'est que la révélation de quelque chose de plus grand. Cette manifestation est tout ce qu'il nous est donné de saisir. Nous ne pouvons connaître que la Nature ; mais ,elle nous parle de quelque chose d'au-delà d'elle. Dans son langage mystérieux et immense, elle nous révèle l'existence d'une force supérieure, de modes d'être inconnus, d'une puissance loin- taine et invisible. Dès lors, la Nature n'est pas seulement un fait, elle est un signe ; il ne suffit pas de la regarder, il faut l'interpréter ; un élément idéal se mêle par là à son étude.

Il est aisé de voir que cette doctrine diffère des autres. Avec le système de Cowper , il n'y a ni étude de la Nature pour elle-même , ni interpré- tation donnée à ses millions de formes. On ne s'arrête pas à elle. Il n'y a pas de relation continue ; dès qu'on a trouvé, par l'idée de loi, l'idée d'un Régulateur , on a tout découvert ; il n'y a plus qu'à chanter ses louanges. Ici, au contraire, la Nature reste au premier plan. Elle est l'objet d'une lecture constante, comme un texte qu'on ne se lasse pas de relire et de commenter, pour en pénétrer le sens. Le système qu'on a appelé « Wordsworth i en » conserve l'homme, conserve la Natnre, et ne ferme pas toute ouverture sur l'inconnu. On comprend qu'il offre au point de vue poétique plus de ressources , qu'il est en quelque sorte plus large el plus hospitalier. Il est réaliste, car il s'attache à la Nature, il tire d'elle tout ce qu'il sait, vit de sa vie, s'élargit en la connaissant plus, a besoin d'être constamment nourri par son observation. Il est idéaliste, car, prenant la Nature comme une révélation efun signe,

1 Wordsworth. Introduction à l'Excursion.