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d'imitation littéraire ; et il avait mal choisi ses modèles. Il avait trop fré- quenté Pope. Ce n'est pas que nous n'ayionspour cet habile écrivain une admiration pleine de réserve ; mais s'il peut fournir des aphorismes et des épi^rammes, si ou trouve chez lui des vers faits de main d'ouvrier, achevés, hrillants, polis, et si régulièrement rangés que certaines de ses pages font penser à une devanture de coutellerie ; ce n'est pas chez lui qu'il faut aller chercher le mouvement et la vie réelle. On peut envoyer la colombe à travers l'œuvre de Pope sans qu'elle en rapporte le moindre rameau vert. Ce fâcheux commerce avait donné à Ramsay une faiblesse pour les vers soutenus, la régularité froide de la forme, et un faux vernis. C'est cet alliage qui a empêché que le NoUe Berger ne fût un chef-d'œuvre.

C'est cependant une œuvre très distinguée. Et ce qui la sauve de n'être qu'une pastorale fade dans le goût du xviii" siècle, c'est justement ce fond de réalisme écossais, cette saveur de terroir, qui se trouvent dans les poèmes locaux. Ils apparaissent, et dans le langage que Ramsay a eu le bon sens de conserver, et dans certains traits de mœurs villa- geoises, et dans le paysage qui est exact, encore qu'il soit un peu embelli. C'est cette substance de réalité qui donne, à une conception un peu artificielle, de la fermeté, et qui la soutient. Il résulte parfois de ce mélange de très excellents effets. Ce fond solide, lorsqu'il se mêle en d'heureuses proportions avec l'idéal un peu raréfiant des classiques modernes, produit des passages d'une grâce achevée, et qui semblent vraiment antiques, parce que la pureté de contour que certains modernes ont empruntée aux anciens s'emplit ici d'un sentiment de vie actuelle. On pense à ces poteries agrestes qui, par un hasard heureux, retrouvent parfois la forme divine des vases grecs. Elles ont, sur les pures imitations artistiques, plus achevées peut-être, je ne sais quel avantage que leur vaut un air de solidité et d'emploi. On sent qu'au lieu d'être des galbes vides, elles contiennent le lait, le vin et l'huile, et qu'elles servent à la vie. Ce passage où deux jeunes paysannes vont laver leur linge à l'eau courante, ne fait-il pas penser à un passage d'idylle antique? Gela se termine comme une vision de naïades.

Remontons le ruisseau jusqu'au creux de Habbie,

Où toutes les douceurs du printemps et de l'été croissent :

Là, entre deux bouleaux, par-dessus une petite cascade,

L'eau tombe, en faisant un bruit chantant ;

Un bassin, profond jusqu'à la poitrine, et clair comme le cristal,

Baise de ses lents remous l'herbe qui le borde ;

Nous finirons de laver notre linge tandis que le matin est frais,

Et, lorsque le jour s'échauffe, nous irons au bassin,

Et nous y baignerons ; cela est sain maintenant en mal,

Et d'une délicieuse fraîcheur par une journée si chaude *.

  • The Gentle Shepherd, Acte i, scène 2.