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bien ! moi, je m’en ris : j’ai du cœur, mais surtout j’ai de l’argent ; je puis gagner nos gardiens, je puis rompre ces chaînes, je puis m’échapper peut-être, je puis avoir des avocats et des solliciteurs, enfin je puis un jour recommencer comme de plus belle ; et j’espère le faire ! — »

— « Savent-ils tout, » — interrompit Waterworth ; — « tout est-il découvert ? »

— « Non, je ne le crois pas ! J’ai subi des interrogatoires, et je crois avoir deviné la nature des témoignages qui seront rendus contre nous. Des bagatelles ! des rapsodies sans suite ! L’affaire de Parke et de Sivrac ! voilà tout… »

— « De Sivrac ? quoi ce meurtre affreux ! Ciel ! tu n’y étais pas ! »

— « Oui-da ! je n’y étais pas ? Un alibi ! un alibi… ! Diable me voilà sauvé ! tu prouveras l’alibi, n’est-ce pas ? »

— « Je ne sais ; tu aurais pu y aller… ; je n’étais pas toujours avec toi… »

— « Comment ! traître, tu hésites, tu as des scrupules quand il s’agit de sauver un ami, de sauver l’homme qui t’as nourri et vêtu, quand tu étais pauvre ; qui t’a fait connaître les jouissances de la vie, quand tu manquais même du nécessaire… Tu baisses la tête ! Écoute ! choisis entre ma haine où mon argent ; jureras-tu… ? »

— « Je jurerai tout ce que tu voudras ! Cambray, tu me maîtrises comme un enfant. Il y a dans toi quelque chose qui a plus d’influence sur moi que tous les méchans esprits qui assiègent mon âme. J’ai entendu dire que certains animaux sauvages charment leur proie de l’œil, tu as sur moi un pouvoir magique plus étrange encore. Tu as toujours été résolu, déterminé… mais ne réveillons pas le passé, ces murs peuvent cacher des espions, et je n’aime pas à me rappeler au moment du sommeil ces scènes d’horreur… mes rêves me font peur… Ciel ! quelle nuit à passer ? quelle destinée devant nous ! Qu’on ne me dise pas que l’homme est libre, et se fait son propre sort ! Quand je me demande comment je suis arrivé au lieu où je me trouve aujourd’hui, je crois en une fatalité aveugle qui poursuit l’homme, qui l’enchaîne à une roue roulant sans cesse sur lui, jusqu’à ce qu’elle arrive à la borne sur laquelle elle l’écrase ! Je suis donc né, j’ai donc été marqué au berceau pour le crime, l’infamie, et une damnation éternelle ! »

— « En voilà une morale ! » dit Cambray ; « c’est une lâcheté que de commettre des crimes, et d’en jeter la faute sur une aveugle fatalité.