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SA VIE — SES ŒUVRES

M. Rousset

Que viens-tu nous chanter ? La distance est extrême
Entre orner sa mémoire et composer soi-même !

Léon, avec feu

Mais, mon père, entre nous, ces hommes immortels,
Debout sur leurs tombeaux comme sur des autels…
Racine et Poquelin, La Fontaine et Corneille,
Dont tu gardes les vers, ainsi qu’une merveille,
Dans ces grands livres bleus ornés de tranches d’or…
Ils composaient pourtant !…

M. Rousset, brusquement

Ils composaient pourtant !…C’est bon quand on est mort !

Léon, avec force

Mais je vivais, quand, fier de mes succès en classe,
Tu me donnais, un jour, ce beau fusil de chasse !
Mais je n’étais pas mort, quand, pour mes vers latins,
Tu passais ta journée à bénir les destins :
Et qu’ébloui d’un fils qui savait lire Homère,
Tu priais à dîner les adjoints et le maire !
Eh bien ! moi, que veux-tu ? par Virgile bercé,
J’ai pris goût, sans malice, au miel qu’on m’a versé ;
Et si tant de raisons défendent que j’y touche,
C’était un crime, alors, de m’en frotter la bouche !…


Et comme M. Étienne Dufernay, un vieux célibataire, l’Oncle Million de la pièce, prend le parti de Léon qui doit épouser sa nièce, Alice Dufernay, Rousset reprend :

… Des vers, monsieur, des vers !… pas même de la prose !
Une façon de dire où l’on ne comprend rien !
Au lieu de s’énoncer comme un homme de bien,
Clairement, simplement, à l’unisson des masses,
Sans ces contorsions, sans toutes ces grimaces,
Et ces rimes, monsieur, ridicule ornement,
Qu’on n’accorde jamais avec le jugement ;
Si bien que la pensée, aux allures moins nettes.
Semble un âne à la foire entre ses deux sonnettes !
Avouons qu’il faut être, en ce siècle éclairé.
Sinon tout-à-fait sot, du moins fort égaré,
Pour prendre au sérieux un pareil casse-tête !…
Mais je dis que Léon n’est pas même un poëte !