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LOUIS BOUILHET

à-coup sa figure s’illuminait et respirait une douce satisfaction : la rime était trouvée. C’étaient des épigrammes, des triolets, des quatrains, des acrostiches, des rondeaux, des bouts-rimés, des stances facétieuses, ou des chansons. C’était encore quelque passage d’une tragédie burlesque, Jenner ou la découverte de la vaccine, qu’il composait avec Gustave Flaubert et M. Maxime Ducamp. Les amis se passaient de main en main ces essais poétiques, et pendant que le prodigue oubliait ses premiers vers, autour de lui on les conservait avec soin. Ils étaient recopiés. C’étaient autant d’éditions manuscrites qui circulaient entre camarades. Qui ne se rappelle à Rouen, parmi les contemporains de Bouilhet, les cahiers reliés, simples cahiers de collège où le futur auteur d’Aïssé transcrivait ses meilleures poésies. L’un était intitulé les échos de l’âme, l’autre feuilles mortes[1].

Gustave Flaubert[2] nous fait connaître par extrait quelques-unes de ses poésies de jeune homme ; elles dénotent une certaine souplesse de langage et un certain coloris de style. Bouilhet préludait ainsi à des œuvres plus sérieuses.

Vers 1845, il abandonna tout-à-fait ses études médicales ; il voulait se consacrer tout entier à la littérature ; il ne se sentait point né pour se servir du scalpel et de la lancette,

…Non natus idoneus armis.


pour parodier un vers de Tibulle. — La vocation contrariée secouait enfin ses entraves. En attendant, il continua à donner des leçons à des aspirants bacheliers. Ses répétitions étaient très recherchées. Ses premières rimes avaient fait du bruit dans Landerneau. Cet avant-goût du succès ne l’amena point à exagérer la valeur de

  1. M. Eugène Noël, Rouen, promenades et causeries, p. 21.
  2. Préface des Dernières chansons, p. 10, 11, 12.