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À la fin du printemps, vers le milieu de juin, Angela, les yeux emplis de larmes, vint près de « Madame », un matin. Elle était en costume de voyage, recouverte d’un long cache-poussière. La princesse, non encore levée, tendit vers sa dame d’honneur une main bienveillante.

— Bon voyage, mon enfant, Dieu vous assiste.

Angela fléchit les genoux, mit ses lèvres brûlantes sur les doigts glacés de celle qui avait été pour elle bonne et indulgente, puis, avec un sanglot, s’enfuit.

Une voiture était avancée au bas des degrés ; dans la voiture, son beau-frère de Barbentan attendait. En haut, derrière le rideau d’une fenêtre, François, les poings crispés, le regard fiévreux, contemplait cette fuite…


XIX

La racine adjuvante

Ils n’allaient pas à Paris, mais au château de Barbentan, près Bourganeuf, dans la Creuse, et là, six semaines après leur arrivée, on entendit soudain, par une belle nuit d’août, les premiers vagissements d’un enfant nouveau-né. Mais quand le jour hâtif pointa à l’orient au sommet des monts d’Auvergne, on vit sortir du château un groupe de trois personnes, dont l’une, jolie et fraîche paysanne, portait dans ses bras un bébé endormi.

Les deux autres, plus âgés, l’appelaient « ma figlia » en langue italienne et le groupe prit la route longue de Rome par Modane.

Dans une chambre haute, au fond d’une alcôve, une mère sanglotait, appelant tout bas son enfant…

***

À la même heure, sortant du Vatican, profondément triste et pourtant son œil gris illuminé d’une flamme, le prince de Libourne rentrait au Palais Amorelli où il était descendu.

Le cardinal de Capriva l’attendait.

— Éminence, dit François, je viens de causer longuement avec le Saint-Père, sa bonté paternelle ne s’est pas démentie, il m’a tendu les bras et m’a béni. Sa Sainteté a bien voulu me dire qu’elle vous chargeait de veiller chaque jour à ce dépôt précieux — mon sang et mon espoir — que je laisse en Ville Sainte, j’ose compter, Éminence, sur votre cœur pitoyable en faveur du pauvre petit orphelin…

— Qui a pourtant père et mère.

— Oui, mais qui est menacé des pires malheurs si on devine sa royale origine… L’avenir que Dieu nous cèle jalousement, me permettra peut-être un jour de donner à mon fils ce que je lui dois : l’honneur d’un nom.

— Le Saint Père y a pourvu. La grande chancellerie a inscrit au grand livre : le comte Daniello de San Remo, ses armas et sa couronne…

— Je sais. Tout est prévu pour égarer la malveillance, mais vous savez comme moi ce dont peuvent être capables ceux qui surent abuser de mon inexpérience et de la candeur de ma femme pour nous faire conclure à elle et à moi une union qu’ils savaient devoir être forcément stérile et nulle.

— Et cependant, Monseigneur, le ciel ne voulait pas la fin de votre race, puisque…

— Oh ! les desseins divins sont bien impénétrables… en attendant, voici ce que j’ai accompli, ce que je prie votre Éminence d’approuver. J’ai acheté sur la voie della Cruz, presque à la limite de la ville, en un quartier désert, unie petite villa ; elle est entourée d’un jardin empli de fleurs ; l’air y est balsamique et doux, mon pauvre abandonné y sera bien…

— Je supplie votre Altesse royale de n’en être nullement inquiète, je veillerai. Je réponds du dévouement fidèle de la famille Remondo Salici, le père fut mon valet, la femme longtemps lingère chez moi ; quant à leur fille Carlotta, dont j’ai le mari comme cocher, je suis sûr qu’elle se montrera une parfaite nourrice. L’enfant entre ces trois êtres sera bien dorloté, soigné, aimé.

— Ah ! Dieu le permette. Mais l’enfant de Carlotta ?

— Le petit Léo est de l’âge du… nourrisson, il vivra près de ses parents, ils ont acheté une chèvre, grâce aux libéralités de votre Altesse royale, la famille est dans l’aisance la plus absolue.

— Je veux que mon « bambino » soit environné de confortable.

— Ce sera, Monseigneur.

François sortit le cœur gonflé, il s’en alla à travers Rome, sans but, son cœur brûlait en lui, une joie inouïe flambait au milieu de sa douleur. Il avait un fils ! Ce bonheur suprême dont il avait tant rêvé sans espoir, il le tenait et… il devait le taire, et il ne pouvait ni serrer dans ses bras la mère défaillante, ni poser ses lèvres sur le front si doux du bébé.

Vaincu ! toujours vaincu le dernier des Rois !

Il ébauchait des songes, un commencement de réalisation semblait vouloir ensoleiller son matin, puis c’était l’écroulement d’une tour de sable : Ah ! que ne suis-je un pauvre Lazzarone, soupirait-il.

Il passa deux jours errant presque sans trêve, ignorant la fatigue, allant vers les églises où il s’abîmait en prières, puis, le soir de la troisième journée, il se rendit seul vers la via della Cruz.

Il voyageait incognito, n’ayant voulu avec lui qu’un seul serviteur pour ce voyage secret de si profond mystère, où il se donnait le nom français de M. de Blois.

Une étroite porte ronde enguirlandée au sommet de rosiers donnant accès au jardin, il en souleva le loquet, entra, un gros chien du mont Saint-Bernard s’élança au bout de sa chaîne faisant un vacarme à éveiller le quartier paisible.

Une femme âgée s’avança.

— Que demande Monsieur ? dit-elle en Italien.

— Je désire voir votre « bambino », répondit François, contenant son émotion, je suis celui dont le cardinal de Capriva vous a annoncé la visite.

Il signor Deblois.

— Oui. Et voici la preuve, voyez cette carte de son Éminence.

— Monsieur peut entrer.

La pièce où pénétra le prince était large, claire, ensoleillée, gaie et propre, elle ouvrait dans une autre où se voyait un berceau !…

Le cœur de François bondissait en avant.

La nourrice s’avançait.

Il dort, expliqua-t-elle, Monsieur peut venir.

Dans le berceau recouvert de soie blanche et orné de dentelles précieuses, sur la toile fine de l’oreiller brodée de lys, reposait une tête blonde aux joues roses.

L’enfant montrait une carnation superbe, saine, ferme. Il était étonnamment robuste et beau. Son petit poing reposait sur le drap. Sa respiration égale et douce annonçait le bien-être.