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— Superbe. Il montre une intelligence précoce, la loyauté pure de sa race, il comble de joie son protecteur, le noble archevêque de Fribourg.

— Oh ! voir mon fils, l’embrasser !

— Pas encore, ma sœur, si par malheur la retraite de l’enfant était connue, à quels périls ne serait-il pas exposé !

— On l’avait découvert à Rome.

— Oui, quand il était âgé de quatre ans. Oh ! nos ennemis sont bien habiles, bien forts, bien tenaces ! Comment ont-ils pu savoir la retraite du bébé, je ne puis me l’expliquer. Ils soudoyèrent des bandits… mais la Providence intervint. C’est alors que le Saint Père — maintenant Léon XIII — trouva rationnel d’envoyer l’enfant en Allemagne. Il le confia à Monseigneur de Fribourg en Brisgaw.

— Depuis, aucun incident ne s’est produit ?

— Aucun. Nul ne soupçonne que le petit clerc… qu’on voit au chœur de la cathédrale, un encensoir aux mains, est le fils d’un roi !

— Silence, vous m’effrayez. Retournez, mon frère, près du roi, consolez sa douleur, je l’aime et ose le dire, puisque Dieu le permet.

— Adieu, ma sœur.

Le baron s’éloigna très ému, il remonta en voiture, se rendit à la gare et reprit, par Paris, la Suisse et l’Autriche, le chemin de Ritzowa.

XXI

Mariage in-extremis

Ce soir de mai, abîmée au pied de l’autel en fleur, Angela de Val-Salut priait et pleurait. Tout le ciel de ses jours était venu dans son âme. Enfin, ses souffrances allaient être payées, son fils aurait le droit de dire tout haut « mon père » et elle pourrait répéter « mon époux » ; son amour serait donc enfin publiquement reconnu ! Sa joie n’avait pas de mots !

Elle planait vibrante hors de ce sanctuaire, elle était là-bas, près de lui dans le salon blanc, aux profonds divans où des lys brodés mettaient une lueur d’or. Elle le voyait calme, beau, l’œil brillant d’espoir, elle entendait sa voix si douce en s’adressant à elle. Tout le passé défilait… revenu.

Les trois mois d’attente furent presque comme un rêve, le vœu exigeait qu’aucune nouvelle ne vint… mais dès l’aube du premier août, Angela ayant quitté le voile, la cornette, la robe de bure, attendait en l’église qu’on vint l’avertir.

Ce ne fut pas long. Le baron de Barbentan, arrivé de la veille, avait passé la nuit à Sablé. Il vint avec une voiture chercher la royale fiancée…

Éblouie au sortir du monastère, Angela s’effarait de la rue, elle avait oublié le monde, elle était désorientée.

Trois jours de voyage la remirent… dans le train. Son compagnon de route était bien triste et bien las, son fils Xavier lui causait peines sur peines. Il ne pouvait parvenir à le corriger, tout le patrimoine de la famille s’en allait par lambeaux, mais il ne parlait pas de choses financières à sa compagne.

La délicatesse l’en empêchait. Si les Barbentan étaient ruinés, la fortune des Val-Salut doublée par les intérêts accumulés, était des plus prospères, Daniel aurait un splendide patrimoine, le notaire de la famille, Maître Calixte Parchemineau, gérait les biens avec une rare conscience.

La seule question d’argent traitée entre les deux parents, fut le don de cent mille francs que l’ex-religieuse pria son beau-frère de donner au couvent de Solesmes. Barbentan répondit en lui remettant ses pouvoirs de tuteur et en la priant d’agir désormais en ses affaires d’intérêt. Il entendait se décharger de tout.

Les voyageurs durent s’arrêter à Vienne, le baron était brisé ! Sa jeune compagne, au contraire, retrouvait l’entrain, la force, la joie, elle devançait en esprit la locomotive.

Une voiture attendait les arrivants à Ritzowa, un gentilhomme de service, le marquis de Castelvert, se présenta à la sortie de la gare. Il s’inclina profondément devant Mlle de Val-Salut et se relevant très sérieux dit :

— Monseigneur est extrêmement souffrant, il m’envoie vous exprimer ses plus respectueuses pensées et attend avec anxiété votre venue.

Une angoisse étreignit le cœur d’Angela, pendant que les deux hommes échangeaient un regard navré.

Les chevaux brûlèrent l’espace…

Le grand château morne, où trois mois plus tôt passait un cercueil, avait sous un radieux soleil d’été, essayé de se mettre en fête, le long du perron monumental, on avait dressé des fleurs, et les valets, en livrée bleu de roi, faisaient la haie.

En haut des degrés, le duc de Lancrel attendait.

Il s’inclina sur la main que lui tendait la jeune femme et y posa ses lèvres. Ses yeux, malgré ses efforts, restaient noyés de larmes.

— Daignez me suivre, Madame, son Altesse Royale est bien mal.

Angela frissonnante, appuyée au bras du Chambellan, monta au premier étage jusqu’à la chambre de François…

Le roi était là, étendu sur un divan, son visage amaigri, pâle comme l’oreiller qui le soutenait, n’avait plus qu’un regard. Il voulut tendre les bras, mais l’effort fut trop lourd et les bras retombèrent.

Angela s’était précipitée vers lui, elle se jeta à genoux, suffoquant de douleur.

— Monseigneur !

— Mon enfant, murmura le mourant, l’officier de l’état civil est là, et il va nous unir. Pardonnez-moi, chère bien-aimée… J’aurais voulu vous donner du bonheur, de l’amour, et ma couronne à demi brisée…

Le cardinal de Capriva entrait revêtu des vêtements sacerdotaux, il était suivi de deux clercs portant des flambeaux, de deux gentilshommes chargés des registres de la paroisse de Ritzowa, et d’un groupe de nobles français.

Toutes les portes du château étaient ouvertes, la grille d’honneur du parc était béante, le peuple pouvait entrer, un mariage public allait avoir lieu.

Une musique très douce venait de la chapelle où le couple n’avait pu se rendre, l’époux n’était plus transportable, mais des chœurs accompagnés d’orgue montaient…

L’évêque s’avançait… près de lui, un homme vêtu du costume du pays, escorté de deux autres portant les registres de l’état civil, se préparait à écrire.

Une sueur d’angoisse baignait le front du prince. Près de lui, Angela, pâle à mourir, se sentait envahir par une douleur sans nom…

Quoi ! c’était cela le mariage officiel, avec la mort pour témoin.

Un docteur baignait les tempes du roi avec un révulsif ; à cette époque, les injections sous-cutanées qui galvanisent n’étaient pas encore sorties du domaine de la science.