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ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

Tout le reste leur apparaissait un luxe inutile et une perte de temps. Ils ne demandaient qu’à apprendre l’indispensable et à l’apprendre vite. La culture classique dont l’Église conservait la tradition depuis l’époque carolingienne ne lui permettait pas, à leurs yeux, d’instruire leurs enfants comme ils le souhaitaient. Au fond, la question qui se posa dès lors au sein des premières agglomérations bourgeoises n’était qu’une forme brutale sans doute et rudimentaire, mais une forme tout de même de la question de l’enseignement moderne et professionnel.

Ce que nos sources nous apprennent nous permettent d’en saisir, en Flandre, quelques péripéties assez curieuses.

Vers le milieu du xiie siècle, un incendie avait détruit à Gand l’église, l’école et les archives du Chapitre de Sainte-Pharaïlde. De riches bourgeois s’étaient empressés de profiter de cette catastrophe pour ouvrir des écoles[1]. De son côté, le monastère de Saint-Pierre, qui possédait le droit de patronage sur les paroisses de la ville, en avait ouvert d’autres et prétendait faire fermer celles des bourgeois[2]. Ainsi, le Chapitre était attaqué de deux côtés. Pendant que les moines de Saint-Pierre s’adressaient au pape et l’exhortaient à faire cesser les leçons que « l’insolence des laïques s’était enhardie à organiser », les chanoines recouraient à l’aide du comte, le suppliant de confirmer le monopole d’enseignement qu’ils revendiquaient dans la ville comme ils le possédaient depuis toujours dans le castrum. L’enquête ordonnée par Alexandre III, entre 1166 et 1179, sur le bien-fondé de la plainte des moines tourna à leur désavantage, et fit apparaître que le droit d’enseignement appartenait au seul Chapitre[3]. Le comte Philippe d’Alsace le lui ratifia, et obtint, en 1179, de l’archevêque Guillaume de Reims, une charte corroborant sa décision. Toutefois, on surprend dans celle-ci le désir évident du comte de satisfaire tout à la fois les prétentions du Chapitre et les désirs de la bourgeoisie. Elle ne se borne pas, en effet, à reconnaître à Sainte-Pharaïlde le droit de surveiller l’enseignement. Elle confère au chanoine Simon, qui remplissait les fonctions de notaire comtal, la direction des écoles urbaines et statue que, sans son assentiment, personne ne pourra désormais en ouvrir soit dans le château de Gand, soit dans la ville[4]. Ainsi, en 1179, l’existence des écoles que les bourgeois

  1. Charte de l’archevêque Guillaume de Reims de 1179 dans Miraeus, Opera diplomatica, t. II, p. 974.
  2. Bulle d’Alexandre III (1166-1179) dans Van Lokeren, Chartes et documents de l’abbaye de Saint-Pierre de Gand, t. 1, p. 153 (avec les dates 1159-1171). Les moines prétendaient que depuis toujours (quantum in memoria hominum est), personne ne pouvait ouvrir d’école à Gand sans leur consentement. Or la « laïca violentia » y avait introduit « quandam libertatem legendi ». Ces mots montrent clairement qu’il s’agit bien d’écoles ouvertes par les bourgeois et libres de tout contrôle ecclésiastique.
  3. Nous n’avons aucun renseignement écrit sur la conclusion de l’enquête ordonnée par le pape. Mais le fait que jamais depuis lors les moines de Saint-Pierre ne revendiquèrent plus la moindre intervention dans les écoles de la ville, prouve suffisamment qu’elle tourna contre eux.
  4. Il est indispensable de transcrire les passages les plus caractéristiques de la charte de l’archevêque Guillaume citée plus haut n. 1 « Karissimus in Christo filius noster