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nécessaires pour situer telle scène dans un parc et telle autre dans le salon d’un château. La vie sous son aspect purement humain, la vie presque toujours insouciante et joyeuse, infiniment diverse malgré son apparente uniformité, voilà le seul spectacle qui attire les yeux et l’esprit de Jane Austen. Elle dira elle-même plus tard que « sa préférence pour la vie l’incline à donner toujours plus d’attention aux êtres qu’aux choses », [1] et l’intérêt de son premier roman réside surtout dans la peinture des caractères.

Le plus profond sentiment dont Elizabeth Bennet est capable, et celui-là même qui compta le plus dans la vie de Jane Austen, n’est pas l’amour, c’est l’affection fraternelle. La tendresse d’Elizabeth Bennet pour Jane est sinon une image, du moins un reflet de l’affection que Jane Austen portait à sa sœur Cassandre. Dans le roman, comme dans la réalité, ce sentiment d’admiration attendrie qu’éprouve une jeune sœur devant la bienveillance universelle et l’inaltérable douceur de son aînée, est comme un hommage involontaire de l’esprit à la bonté. La nature un peu sèche d’Elizabeth lui rend difficile de supporter les sots lorsque ceux-ci deviennent une source de vexations, de mortifications journalières. Elle reste confondue devant la bonté de Jane qui trouve tous les gens parfaits, ou sait découvrir chez tous quelque trait aimable. Malgré la supériorité morale qu’elle reconnaît si franchement chez sa sœur, c’est Elizabeth qui, sans le vouloir, en dépit de ses défauts ou à cause d’eux, attire et retient notre sympathie. Elle n’est pourtant douée ni d’une beauté remarquable ni d’une haute intelligence. Elle est gracieuse, vive et sensée, et ces qualités ordinaires et moyennes produisent, unies en elle, une impression de charme irrésistible. Il y a chez Elizabeth, comme chez tout être qui a reçu le don de plaire, quelque chose qui échappe à l’analyse, une force mystérieuse, une vertu secrète, qui la dé-

  1. Lettres. 18 avril 1811