Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/188

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nature moins saine, moins épanouie et moins vigoureuse, ce penchant à voir les choses et les gens tels qu’ils sont, risquerait d’être une cause d’amertume et de tristesse. Mais ce que le psychologue de vingt ans connaît déjà des contradictions, des faiblesses, et même de la méchanceté humaine, ne trouble pas sa gaieté et n’altère pas sa confiance en la vie. Il y a peu de gens au monde pour qui Elizabeth éprouve une véritable affection, moins encore dont elle ait une haute opinion, ainsi qu’elle l’avoue un jour à Jane dans un de ces entretiens où les deux sœurs parlent avec cette parfaite franchise que permet l’assurance d’une parfaite sympathie. Elle ose regarder la vie en face, et malgré les contradictions qu’elle y voit, la trouve belle et jouit de sa beauté. Aussi la vie est-elle douce à la charmante Elizabeth. L’éclat de ses yeux n’est jamais terni ni adouci par les larmes. L’ombre d’un chagrin l’effleure à peine un instant et disparaît à jamais de son horizon. Cette petite provinciale, dont la grâce parfume toutes les pages d’« Orgueil et Parti pris », est peut-être, parmi les héroïnes de la littérature anglaise, la seule qui sache plaire uniquement par sa gaieté et sa vivacité, la seule qui puisse charmer rien que par la joie de son sourire et réussisse à intéresser sans jamais faire appel à l’émotion, à la tendresse ou à la pitié.

À côté d’Elizabeth, admirable de vie et de vérité, le personnage de Darcy n’est indiqué que par quelques traits. Du héros d’« Orgueil et Parti pris » — comme de tous les hommes dans les romans de Jane Austen — nous avons moins un portrait qu’une esquisse faite de quelques lignes tracées, il est vrai, d’une main ferme et sûre, mais dont l’exécution semble un peu sommaire, comparée au fini, au fouillé des figures de femmes. Cette différence provient du point de vue auquel l’auteur se place pour étudier la vie et les caractères. Jane Austen emprunte exclusivement à l’observation directe et à l’expérience personnelle la matière de ses romans ; par conséquent toute cette partie de la vie masculine qui n’est