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et de Scott, vous êtes certaine qu’il apprécie comme il convient les beautés de leur œuvre, et il vous a donné l’entière assurance de n’avoir à l’égard de Pope que juste le degré d’admiration nécessaire. Mais comment soutiendrez-vous de plus longues relations si vous mettez un si extraordinaire empressement à dépêcher tous les sujets de conversation ? Une autre visite vous suffira pour qu’il vous explique ses théories sur le pittoresque et sur les seconds mariages. Ensuite vous n’aurez plus rien à lui demander ». [1]

La figure de Marianne, plus vivante que celle d’Ellinor, n’est pas d’un dessin très net. Une Elizabeth Bennet, une Emma Woodhouse, une Fanny Price appartiennent au monde de la réalité et de l’expérience ; Marianne Dashwood, au contraire, appartient à la littérature autant qu’à la réalité. On retrouve en elle plus d’un trait de l’héroïne traditionnelle du roman anglais. Elle ressemble à l’amoureuse déçue et méprisée qui, depuis la jeune Italienne de « Sir Charles Grandison », a mêlé sa tristesse et sa romanesque désillusion à tant d’histoires d’amour. À certaines pages, elle est « sensible » presque autant que Clarisse Harlowe ; puis, grâce à un revirement qui ne laisse pas de nous déconcerter, passe de la « sentimentalité » qui a dominé sa prime jeunesse au simple « bon sens » qui sera désormais la règle de sa vie.

Dans ses études psychologiques comme dans ses peintures humoristiques de mœurs, Jane Austen saisit ce qui est significatif et d’une valeur constante, aussi son peu d’expérience de la vie ne se fait-il point sentir. Mais quand elle étudie un caractère d’homme ou trace une silhouette masculine qui n’est pas ridicule ou tout au moins plaisante, elle se trouve en défaut. Sa jeunesse ne lui permet pas de connaître et de juger les hommes comme elle connaît et juge les femmes. Dans un autre rôle que celui de père ou de frère, ils sont un peu pour elle des êtres d’une espèce particulière, ayant des goûts et

  1. Bon Sens et Sentimentalité. Chap. X.