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silence par quelqu’un de semblable. Une femme d’esprit, un peintre de caractères, et qui ne dit mot, est un être vraiment redoutable ». [1]

À ce tableau peu flatteur, Miss Mitford ajoute un correctif qui fait honneur à son amour de la vérité : « Je ne suis pas très sûre que tout ceci soit vrai. La personne dont je le tiens est la sincérité même, mais elle a des raisons d’être indisposée à l’égard de Miss Austen. Son beau-frère est en procès avec le frère de Miss Austen qui, dit-il, l’a frustré d’un héritage considérable ». Dans le portrait tracé par Miss Mitford, cette maussaderie, cet air austère et revêcbe, la terreur inspirée par un silence qu’on croit chargé de malveillance, semblent tout d’abord en contradiction flagrante avec le témoignage de ceux qui ont connu Jane Austen. Le « Mémoire » et la notice biographique qui accompagne « L’Abbaye de Northanger » s’accordent à louer en elle « une taille mince et élancée, un pas léger et vif, un teint d’une fraîcheur exquise, une expression de gaieté, de franchise et de bonté ». Mais cette contradiction même renferme peut-être une indication précieuse. Pour méchant qu’il soit, le croquis à la plume de Miss Mitford ne contiendrait-il pas cette sorte de vérité que la caricature la plus poussée conserve parfois en dépit de sa laideur voulue et de ses exagérations ? Effaçons de ce portrait ce que la rancune et l’animosité ont inspiré, oublions ce qu’on nous rapporte, et que nous savons inexact, de l’attitude du monde à l’égard de Jane Austen ; il n’y restera rien qui ne précise et n’éclaire ce que l’œuvre et la correspondance nous ont déjà appris.

Avec ceux qui l’aiment, dans l’intimité du cercle familial, Jane Austen laisse paraître sans contrainte un aspect de sa nature qu’elle ne peut ni ne veut livrer aux yeux des indifférents. Gracieuse et gaie avec les siens, elle est en d’autres circonstances d’une timidité extrême. Cette

  1. Miss M. R. Mitford. Lettre adressée à Sir William Elford, 3 avril 1815.