Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’œuvre de Jane Austen. Le caractère d’Emma, avec sa gaieté, sa franchise et, en même temps, son amour des combinaisons, des petites manœuvres, est le portrait le plus fini de toute une galerie de figures féminines.

À côté d’Emma, une série de personnages secondaires est présentée en traits menus et précis : le ménage Weston, lui tout en dehors, parlant beaucoup et un peu à l’étourdie ; elle fine et discrète, dans son charme un peu passé d’être qui toujours a joué les rôles les plus effacés dans la vie, d’abord comme institutrice, puis comme femme d’un homme mûr, remuant et autoritaire. Vient ensuite Mr. Knightley qui incarne le bon sens et la pondération avec une solidité un peu terne. Puis Mr. Woodhouse, avec ses craintes perpétuelles pour la santé d’autrui, ses maladies et son régime. C’est encore Frank Churchill, grand enfant gâté, qui sait aimer, mais non point jusqu’à épargner à celle qu’il aime des soucis et des froissements constants. Enfin les personnages humoristiques, les Elton, admirablement assortis, car l’ambition un peu lourde du mari s’allie bien à la vulgarité, à la prétention de sa remuante moitié. Auprès de ces deux figures si vivantes, se dresse un personnage unique et délicieux : Miss Bates. Mélange, suivant le mot de Walter Scott, de sottise et de naïveté, — a character of folly and simplicity — celle-ci est un de ces êtres foncièrement bons et bienveillants, mais affligés du terrible défaut de parler d’autant plus qu’ils ont moins à dire. Elle jase pendant des heures, raconte ce qu’elle a pensé lorsqu’elle a rencontré telle ou telle personne, et elle voit tout et connaît tout le monde à Highbury. Son interminable babil, qui devrait être exaspérant, qui le serait dans la vie réelle, se déploie à travers le roman comme un récitatif monotone auquel et presque malgré soi on prête attention. Une naïveté enfantine, jointe à une extrême pauvreté d’esprit, donne à Miss Bates une figure à la fois ridicule et touchante. Le commentaire qu’elle débite avec une intarissable abondance sur chaque événement est un chœur d’où tout esprit prophé-