Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/313

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En donnant à notre xviiie siècle le nom de « siècle de la femme » les Goncourt n’avaient vu de celle époque que ses aspects esthétiques, son souci de l’élégance, sa recherche du plaisir aimable, de la parure, de la grâce, des apparences et de la délicatesse de l’esprit, en un mot, de tout ce qui fait le charme d’une vie jouisseuse et frivole. En Angleterre, le xviiie siècle fut aussi le siècle de la femme mais l’influence féminine s’y affirma d’une toute autre façon. Certaines formes de la littérature et de l’art s’adressent alors presque exclusivement aux femmes, cherchent à leur plaire et y réussissent le plus souvent. Signe auquel on peut mesurer l’importance nouvelle de la femme dans la société anglaise, dès les premières années du xviiie siècle, des auteurs comme Addison et Steele se donnent pour but de divertir, d’instruire, de conseiller leurs contemporaines et jugent cette tâche digne de tous leurs efforts. Suivant le mot d’Henry Morley [1] l’Angleterre apprit à lire dans les pages du « Tatler » et du « Spectateur » et ce fut aussi par cette lecture que les femmes prirent conscience du rôle qu’elles pouvaient jouer dans la société. Les généreuses louanges de Steele comme le blâme souriant d’Addison leur révélèrent ce qu’elles pouvaient et ce qu’elles devaient être. Les auteurs du « Spectateur » reçurent des femmes la récompense que méritait leur initiative : elles firent le succès de leur journal. Désormais, les femmes demandèrent à la littérature un enseignement et des conseils et non plus seulement le passe-temps que leur avaient procuré jusque-là les gros in-folios de « Cassandre » et de « Cléopâtre ».

D’une voix plus austère, et sans chercher à dissimuler le mépris que lui inspirent la frivolité et l’ignorance féminines, Swift suit l’exemple donné par Addison. Dans sa « Lettre à une très jeune personne à l’occasion de son mariage », Swift engage les femmes à ne plus se complaire exclusivement à des conversations fri-

  1. The Spectator, with Introduction, Notes and Index, by Henry Morley. London 1902.