Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/323

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Que l’œuvre de Fielding exerce dans la seconde moitié du xviiie siècle une inffluence moins grande et moins durable que celle de Richardson, ne faut-il pas voir là une preuve de l’importance acquise par le public féminin ? Comme nous l’avons déjà indiqué, le succès de « Clarissa » est dû autant à des causes secondaires qu’au mérite réel du livre. Les femmes de la « gentry » ou les bourgeoises se plaisent à trouver dans les romans de Richardson la preuve qu’un romancier peut toujours intéresser en insistant de préférence sur les aspects de la vie que la conscience puritaine ne saurait réprouver. Si, d’aventure, le romancier introduit ses héroïnes dans un milieu de vice ou de débauche, c’est uniquement pour tirer du contraste un plus bel hommage à la vertu. Clarissa, échouée dans une maison où sa pureté apporte une atmosphère inaccoutumée ; Paméla à qui ni la force ni la flatterie ne peuvent faire oublier le respect dû au mariage ; Lovelace dont la mort est une inévitable expiation, sont autant d’exemples destinés à mettre en lumière les mêmes édifiantes vérités.

Mais bientôt, l’intention morale que le public, et surtout le public féminin, veut désormais trouver dans le roman limite le choix du sujet, dessèche ou appauvrit le réalisme pour donner plus de champ à la sentimentalité. Le roman des imitateurs de Richardson arrive bien vite à n’être plus que le récit d’anodines aventures d’amour narrées avec une « sensibilité » de plus en plus exagérée. La mode y aidant, son succès dure et ne cessera que lorsque la vogue des premiers romans de a l’école de la terreur » fera trouver fades et banales les figures inspirées d’un Lovelace ou d’un Grandison. Après Richardson, Goldsmith seul réussit, dans « Le Vicaire de Wakefield », à soutenir et à continuer la tradition du roman réaliste sans brutalité, où le sentiment ne se change pas invariablement en sentimentalité, où la moralité ne devient pas prêcheuse, où, enfin, la conscience puritaine n’a pas à s’effrayer de la peinture de la passion et voit l’amour