Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/325

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

roman féminin date vraiment de 1778 quoique, depuis un siècle, les femmes eussent commencé à écrire des œuvres d’imagination. Mais toutes celles qui écrivent avant Miss Burney, de Mrs. Manley dont Addison voit avec déplaisir la licencieuse « Nouvelle Atlantide » dans « bibliothèque de Madame » [1] jusqu’à Mrs. Charlotte Lenox, hautement louée par Johnson pour son « Don Quichotte féminin », n’apportent rien de nouveau au roman. Ce que Mrs. Manley écrit n’est ni meilleur ni pire que les œuvres de ses contemporains. Plus tard, et tant que dure la vogue du roman sentimental, Sarah Fielding et Mrs. Lenox reproduisent dans leurs œuvres, sans y ajouter une note personnelle, l’altitude et les jugements ordinaires des romanciers qui s’inspirent comme elles de Richardson. Leur œuvre n’est donc pas, à proprement parler, une œuvre féminine. Bien différentes nous apparaissent les pages d’« Evelina ». Descriptives ou sentimentales, sérieuses ou comiques, elles portent toutes une empreinte originale. Elles se rapprochent de celles de Richardson lorsqu’elles s’élèvent au ton de la solennité et « des plus nobles sentiments » mais cette ressemblance n’exclut pas toute nouveauté. Miss Fanny Burney, jeune fille ignorante, timide, sans beauté et jugée par tous -jusqu’au succès d’« Evelina » — sans esprit, regarde le monde, observe les gens et reproduit ce qu’elle voit, exprime ses impressions et ses jugements sans vouloir les hausser au ton d’une plus large expérience de la vie, d’une connaissance plus profonde du cœur humain. Et son livre connaît une longue saison de popularité pour entrer ensuite dans l’histoire littéraire.

Ce qu’il y a de nouveau dans la figure d’Evelina Anville ne tient pas aux circonstances dans lesquelles l’auteur a placé son héroïne, non plus qu’au milieu dans lequel elle vit. La société qu’Evelina observe avec des yeux étonnés et ravis à ses débuts dans le monde est une version modernisée de celle que connaissaient les Harlowe

  1. Le Spectateur, n° 37. 12 avril 1711.