Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/328

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restreinte. Ignorant presque tout de la vie active, comment saurait-elle en parler, si elle l’ait une œuvre sincère, basée sur les données de son expérience ? Aussi le roman féminin — et nous le voyons dans « Evelina » — ne contiendra-t-il que peu d’événements. Son intrigue est simplifiée et n’a pas besoin de nombreux acteurs. Mais à sa peinture de la société du temps, l’observation minutieuse et patiente de la femme donne un fini, des nuances, qui sont choses nouvelles. Les attitudes, le costume et jusqu’aux moindres détails de la coiffure et de rajustement sont notés, avec le plaisir que seule une femme de qualité peut y trouver. De même, la romancière s’attarde aux peintures de la vie mondaine puisque celle-ci contient les heures les plus animées, les plus brillantes de sa propre vie. À l’Opéra, au théâtre, dans les jardins de Vauxhall, au Ranelagh et au Panthéon, partout où se réunit la foule des oisifs et des gens à la mode. Evelina observe d’un coup d’œil rapide la toilette des femmes, le va-et-vient des promeneurs, les conversations qui s’engagent, les coups d’œil qui s’échangent. L’intérêt qu’elle prend à la présence ou à l’absence de Lord Orville ne l’empêche pas de remarquer la recherche des vêtements que porte le fat et élégant Mr. Lovel, l’allure insolente de Lord Merton, les airs languissants et affectés de Lady Louisa qui vit pour suivre la mode et qui, parce qu’il est de bon ton de parler bas quand on veut passer pour une « femme sensible » déclare « d’une voix affectée, si basse qu’on l’entend à peine, qu’elle est exténuée de fatigue ». À côté de cette notation de détails d’une qualité différente de ceux qu’observent les hommes, « Evelina » présente encore un autre trait significatif : il est écrit par une femme bien née, dont l’âme et le goût sont également délicats. Dans ces pages qui renferment une fidèle peinture de la vie contemporaine, les apparences sont interprétées avec un mélange de sincérité et de délicate réserve. Pour la première fois, un roman qui n’est ni un roman d’aventures, ni un sermon déguisé est aussi loin de la brutalité ou du cynisme de l’expression que de la fadeur niaise.