Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/334

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server minutieusement ce qu’elle peut étudier à loisir, chaque jour et à toute heure. Elle ne s’aventure jamais plus loin que les contrées familières des domaines de la « gentry », nulle curiosité ne la pousse à franchir les limites qui, dans cette Angleterre du xviiie siècle dont la société est enfermée dans des cadres si rigides, isolent les classes les unes des autres et, en les isolant, les protègent contre toute intrusion d’éléments étrangers. Cette indifférence de Jane Austen à l’égard de ce qui n’est pas son monde et son milieu n’est pas exclusivement le résultat d’une tendance personnelle. À l’époque où elle écrit, les différences de classe et de caste sont assez nettement tracées pour présenter des obstacles presque infranchissables, sauf aux plus hardis et aux plus ambitieux. Mais ceux-là — et pour des raisons que nous allons bientôt exposer — sont rares dans la « gentry » ; aussi trouvera-t-on dans l’œuvre de Jane Austen, des gens bien élevés et d’autres qui le seront moins, mais peu de parvenus. La comédie moyenne d’« Orgueil et Parti pris » ou des autres romans ne compte pas de bourgeois gentilshommes au nombre de ses personnages. Tout au plus une distinction sera-t-elle établie entre les membres de la « landed gentry » (petite noblesse terrienne possédant depuis des générations les mêmes biens de famille), et la « gentry » tout court, composée pour la plus grande partie de gens de bonne naissance mais dans les rangs de laquelle sont reçus également quelques hommes nouveaux, fils de pères enrichis dans le commerce, faisant bonne figure parmi les gentilshommes du comté, et dépensant, non pas les revenus d’une fortune héréditaire, mais l’argent gagné de fraîche date dans une ville de marchands comme Londres ou Bristol. Au moment où Jane Austen commence à écrire, le développement industriel de l’Angleterre pendant les dernières années du xviiie siècle a rendu plus fréquente l’apparition de gens nouvellement enrichis dans les milieux de province. Mais comme il ne peut guère y avoir de brusque passage d’une classe à l’autre et qu’il faut à une