Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/350

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redoutait quelque chose au monde, c’était qu’on ne lui servît pas à dîner de l’oie tendre et non pas que la Déesse Raison trônât jamais sur sa table de communion ou le chassât de sa cure ». [1] Avec leurs histoires de prises et de combats, les marins font pénétrer dans ce milieu paisible les idées de lutte et d’aventure que les « squires » ont oubliées ou ont rapetissées à la mesure des fatigues et des risques d’une journée de sport. Comparé à un gentilhomme campagnard dont tous les voyages se réduisent à aller une ou deux fois l’an à Londres en chaise de poste, un marin, quel que soit son âge, a une expérience des mœurs et des cités des hommes qui fait de lui comme un Ulysse au regard d’un paysan d’Ithaque. Cette supériorité de fait s’augmente de la valeur morale d’un homme qui sait se soumettre à une rigoureuse discipline, qui sait obéir et par là se rend digne de commander. Le frère de Fanny Price, à dix-huit ans, a déjà navigué dans la Méditerranée et fait une croisière aux Indes Occidentales. Il connaît tous les dangers de l’Océan et de la guerre. À la demande du majestueux Sir Thomas Bertram, il raconte simplement quelques-unes de ses aventures. En l’écoutant, Henry Crawford éprouve une admiration mêlée d’envie et de regret. Devant le jeune enseigne qui n’a que sa solde et son premier galon pour toute fortune, Henry Crawford, riche, élégant et cultivé, souhaite d’avoir navigué lui aussi, d’avoir vu tant de choses, tant travaillé et tant souffert. « Il sentait l’enthousiasme le gagner et son imagination s’enflammait, il éprouvait un sentiment de respect pour ce garçon qui, avant sa vingtième année, avait traversé de telles épreuves et montré si brillamment son courage. La gloire des actions héroïques, d’une activité utile, de l’effort et de l’endurance lui faisait envisager ses propres habitudes de plaisir et de jouissance égoïste avec une certaine honte. Il aurait voulu, au lieu de ce qu’il était, être un William Price pour se

  1. Life of Jane Austen, by Goldwin Smith (Great writers series). Walter Scott, éd. page 46.