Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/373

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aime la société des femmes et veut leur plaire. « À quoi pensez-vous que je veuille m’amuser, Mary, les jours où je ne chasserai pas ? — À vous promener avec moi, sans doute. — Pas tout à fait cela. Je serai charmé de me promener avec vous, mais ne trouverai là que de l’exercice et je ne dois pas négliger de cultiver l’activité de mon esprit. Non, mon dessein est de me faire aimer de Fanny Price… Je ne serai pas satisfait avant d’avoir ouvert une petite brèche dans le cœur de Fanny… Je n’ai jamais vu de jeune fille me regarder d’un air si sévère. Ses yeux semblent me dire : « Je ne veux pas avoir de sympathie pour vous, j’y suis bien résolue ». Et moi, je dis qu’elle apprendra à en avoir… Je ne lui veux pas de mal, la chère petite, je veux seulement qu’elle me regarde avec bienveillance, qu’elle me gratifie d’un sourire à mon approche, qu’elle soit émue et confuse, qu’elle me garde une place auprès d’elle toutes les fois que nous nous rencontrerons et soit ravie quand je m’approcherai et lui adresserai la parole. Je veux encore qu’elle pense comme moi, s’intéresse à toutes mes distractions et à tout ce qui m’appartient, fasse de son mieux pour me retenir à Mansfield et croie, lorsque je m’en irai, qu’il n’y aura jamais plus pour elle de bonheur sur la terre. Voilà à quoi se bornent mes désirs ». [1] Les attentions, les flatteries, les hommages délicats dont Henry Crawford sait entourer une femme à laquelle il veut plaire ne captivent pas le cœur innocent de Fanny parce que la jeune fille a déjà donné son amour à Edmond. Mais si la légèreté d’Henry Crawford ne l’entraînait pas bientôt loin de Fanny, celle-ci ne résisterait peut-être pas longtemps. Qui s’en étonnerait, d’ailleurs, lorsque celui qu’aime la délicieuse petite héroïne nous apparaît sous les traits d’un pédagogue plutôt que d’un amoureux ? Car, avec Edmond Bertram l’insuffisance et l’insignifiance des figures d’amoureux dans le roman de Jane Austen se révèlent d’une façon frappante. En peignant ses héroïnes,

  1. Le Château de Mansileld. Chap. XXIV.