Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/374

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Jane Austen leur attribue ces défauts charmants qui, mieux encore peut-être que des qualités, donnent à une physionomie son attrait, son caractère personnel. Ici, elle n’ose s’écarter de la plus irréprochable et de la plus fastidieuse perfection. Il semble qu’elle ait constamment devant les yeux l’image de l’incomparable Sir Charles Grandison. Edmond Bertram est sensé, agréable de visage et de tournure, il est bon, généreux et franc mais, comme chez le héros de Richardson, ses qualités même nous deviennent insupportables car il s’exhale d’elles le plus mortel ennui. Mr. Knightley, dont le sérieux et la solidité font si bien ressortir la vivacité, l’entrain et le charme d’Emma, ressemble un peu à Edmond Bertram. Il est, comme lui un parfait gentilhomme et comme lui serait ennuyeux s’il avait le loisir de discuter longuement sur les principes de l’éducation, les devoirs d’un clergyman et les dangers de la vie mondaine. Jane Austen, qui préférait Edmond Bertram et Mr. Knightley à tous ses autres personnages masculins, les déclarait cependant « inférieurs à ce qu’un gentleman peut être et est en réalité très souvent ». Inférieurs, ils le sont, mais non point dans le sens où l’auteur l’entendait. Leur infériorité vient de ce qu’ils participent incomplètement à la vie, c’est-à-dire à l’activité. Ils ne tiennent au réel que par quelques côtés et non point entièrement comme les héroïnes dont la jeunesse, la gaieté et le charme répandent sur « Orgueil et Parti pris », sur « Emma » ou sur « Le Château de Mansfield » un tel rayonnement. Malgré leurs solides qualités, leur incontestable valeur morale, ces amoureux ne sont pas des figures vivantes. Ce qui leur manque, ce que l’expérience sur ce point insuffisante de l’auteur n’a pas pu leur donner, c’est, à côté de trop de mérites, quelques-uns de ces défauts qui ramènent un homme à la commune mesure de l’humanité.