Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/398

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avoir compris que Darcy ou Mr. Knightley, leur égal par l’intelligence et les qualités morales, leur est supérieur par la façon dont il emploie cette même intelligence et ces mêmes qualités. L’amour et le mariage leur apparaissent alors, non pas comme un renoncement, ni comme un abandon de leur personnalité, ils leur ouvrent une voie de développement et de perfection.

Mais le moment où deux êtres faits pour se comprendre arrivent, après bien des hésitations ou des méprises, à l’entente qui va décider du sort de leurs deux vies est un moment fait de trop d’éléments complexes pour qu’il soit possible de faire plus que de l’indiquer. Aussi n’est-ce pas une réserve — bien superflue d’ailleurs — qui arrête Jane Austen et l’empêche, après avoir étudié si minutieusement l’éclosion du sentiment chez ses héroïnes, de mettre une grande scène d’amour et d’aveux mutuels aux derniers chapitres de ses romans. Ni la réserve d’une « femme bien née », ni l’intuition d’une incomparable artiste, ne suffirait à expliquer que, dans toute une série de romans dont une histoire d’amour forme invariablement le sujet, cette scène ne soit jamais écrite, mais seulement indiquée. Quelques phrases brèves, l’échange d’un regard, puis la réponse définitive qui dissipe tous les malentendus et fait cesser toutes les craintes : voilà le dénouement de tout un petit drame psychologique. Parce que ce moment est décisif et qu’en cet instant toutes les aspirations du cœur et de la raison vont être comblées ou déçues, les acteurs de ce drame intime ne connaissent d’abord qu’une attente douloureuse, puis une joie si complète, si entière, qu’elle n’a pas besoin de paroles. Cet amour, en effet, dépasse la joie de l’heure présente. Les héroïnes de Jane Austen lui demandent et obtiendront de lui, puisqu’elles ont su l’attendre et le choisir, toute une vie pleine d’une félicité tranquille, embellie par la protection d’un être cher dont l’affection demeurera constante, car elle est faite d’estime autant que de tendresse.