Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/426

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sûr et profond, est, je le crois, une faute très commune. D’après tout ce que j’ai lu, je suis convaincue que rien n’est plus fréquent. La nature humaine est tout particulièrement portée à l’orgueil. Bien rares sont ceux d’entre nous qui ne se jugent autorisés à le nourrir en leur cœur par quelques mérites dont ils sont, ou se croient, doués. La vanité et l’orgueil sont différents, bien qu’on les considère généralement comme synonymes. On peut être fier sans être vain. L’orgueil se rapporte au jugement que nous portons sur nous-mêmes, la vanité à celui que nous voudrions suggérer à autrui à notre égard ». [1] Ce que Jane Austen trouve ridicule et faux dans de telles remarques, est que, s’appliquant à tous, elles arrivent à ne s’appliquer à personne. Son étude psychologique, toujours étroitement liée à un cas individuel, s’exerce sur un objet précis et ne s’élève jamais au-dessus du domaine de la réalité concrète. Mais par sa justesse même, et grâce aussi à l’intuition merveilleuse qui la guide et lui fait atteindre ce qu’il y a de significatif et de caractéristique dans ce domaine, cette psychologie orientée vers l’individuel arrive à la vérité universelle. Emma ne se préoccupe point, alors qu’elle étudie le caractère de Jane Fairfax, de tirer de cette étude une conclusion d’une portée générale ; elle observe Miss Fairfax en qui elle devine obscurément une rivale et essaie de calculer l’effet que pourrait produire la réserve de la jeune fille sur un homme du caractère de Mr. Knightley. Rien de plus concret, de plus limité, qu’une telle attitude et pourtant, quelle vérité dans la réponse faite à cette remarque que Miss Fairfax est trop réservée pour attirer l’amour et qu’on ne saurait aimer une jeune fille si froide et si maîtresse d’elle-même ! « Pas avant, répond Emma, que sa réserve et sa froideur ne cèdent à l’égard d’une seule personne, et alors, l’amour de cette personne sera attiré d’autant plus irrésistiblement ». Emma, dont les jugements et les prévisions sont démentis par la réalité lorsqu’elle les appuie sur l’arbitraire et le caprice, ne se

  1. Orgueil et Parti pris. Chap. V