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méprend pas ici. Un éclair d’intuition lui révèle la valeur de ce qu’elle a observé chez Miss Fairfax, et sa réponse revêt à son insu une large et profonde vérité. Cette divination qu’Emma ne possède qu’un instant donne à toute l’étude psychologique de Jane Austen un charme et une saveur incomparables ; elle illumine chaque aspect de la réalité intérieure d’une lueur si vive qu’explications et commentaires deviennent superflus.

Pareil au milieu social, le milieu psychologique qu’étudie Jane Austen n’admet rien d’exceptionnel, de rare, ni d’étrange. Les « méprises de l’intelligence et du cœur » qu’elle se plaît à observer pourraient appartenir à l’expérience de la plupart d’entre nous. Elles supposent chez ceux qui les commettent et se repentent de les avoir commises, des qualités comme des défauts ordinaires et ne témoignent pas plus d’une « infernale perversité » que de cette « nature angélique » dont la psychologie rudimentaire de Mrs. Radcliffe douait invariablement ses héros et ses héroïnes. Si près de la vie est l’observation dans « Emma » ou dans « Persuasion », si juste et si fine sa reproduction de la réalité intérieure, que chacun des personnages du roman, loin de nous apparaître doué d’une existence fictive, revêt à nos yeux la vérité d’un être dont nous connaissons l’âme et la pensée.

Dans ce milieu cultivé que décrit Jane Austen, parmi ces gens du même monde soumis dès l’enfance à une discipline à peu près semblable, asservis aux mêmes conventions mondaines, partageant les mêmes opinions et les mêmes préjugés, il ne peut y avoir, d’une personne à l’autre, que des différences de degré. Nous sommes en présence de « gens de qualité », formés, d’après une tradition de leur classe, à réprimer comme une faute de goût et un manque de dignité toute preuve d’émotion. Il faut donc une vision d’une justesse et d’une acuité remarquables pour saisir chez eux le trait révélateur, l’attitude ou la parole significative.

Au château de Mansfield ou chez les Woodhouse,