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de goût n’avaient garde de tomber ? La diatribe véhémente de Charlote Brontë au sujet de « l’insensibilité » de Jane Austen qui « ne connaît rien des passions et ne veut pas même entretenir des relations de politesse avec une si tumultueuse confrérie, » [1] indique d’une façon juste autant que pittoresque la portée de l’étude psychologique dans « Orgueil et Parti pris » et dans les autres romans.

À côté des grands mouvements, des impulsions irrésistibles et soudaines il est, dans l’âme humaine, pour celui qui l’observe assez patiemment et d’assez près, un perpétuel devenir, une incessante évolution des sentiments, qui, nés au plus profond de l’être et enfouis dans les ténèbres de l’inconscient, arrivent lentement, par une germination sourde et longtemps imperceptible, à affleurer au niveau de la conscience. C’est ce lent travail, ce passage de l’inconscient au conscient que Jane Austen choisit dans tous ses romans — à la seule exception de « L’abbaye de Northanger » — pour thème psychologique. Par là, cette étude possède, à l’époque où Jane Austen écrit, une valeur originale. Le roman psychologique de Richardson était une analyse et non pas l’étude de l’évolution d’un caractère. Ici, la vie intérieure apparaît sous une forme plus vraie parce qu’elle est plus souple et plus mouvante. Avec une finesse, une sûreté admirables, l’auteur suit en une âme les progrès constants, mais presque insensibles, de la connaissance de soi-même. Cette progression est notée avec une délicatesse telle que nous ne pouvons mesurer ses différents degrés avant d’arriver, en même temps que l’héroïne, au terme où l’intelligence et la raison éclairent, expliquent et justifient le sentiment. Il y a là comme une crise d’âme, mais sans conflit douloureux, sans heure tragique, peinte dans ses nuances les plus fines et se déroulant en une série continue de moments insignifiants en eux-mêmes mais dont chacun contribue à la révélation finale sur laquelle se

  1. Voir : Charlotte Brontë and her Circle, by Clément Shorter.