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de la littérature, Jane Austen soutient, par la bouche d’un de ses personnages, qu’il est bon d’aimer et d’admirer la nature, mais que la recherche exclusive du pittoresque n’est qu’affectation et vanité. « Je n’aime pas, dit Edward Ferrars, les arbres tordus, tourmentés, noircis par la foudre, j’admire beaucoup plus ceux qui sont élancés, droits et vigoureux. Je n’aime pas les chaumières croulantes, au toit déchiré et pourri. Je n’ai pas la moindre tendresse pour les orties, les chardons ou les fleurs de bruyère. Une ferme prospère me plaît mieux qu’un beffroi, et un groupe de paysans bien propres et bien nourris est mieux de mon goût que les brigands les plus pittoresques du monde ! » [1]

Ce n’est pas que, fidèle à la tradition de sa race et de son milieu, Jane Austen ne jouisse profondément de la beauté d’un site, de la grâce d’un paysage. Ce qu’elle blâme dans le culte et la recherche du pittoresque, c’est qu’il s’attache à l’exceptionnel et dédaigne le charme du décor familier et doux d’une partie de l’Angleterre. Ce mépris que les amateurs du pittoresque ont pour les sites les plus communs en Angleterre, leur dédain de la réalité immédiate et leur admiration pour les beautés lointaines des Alpes et des Pyrénées lui semblent une faute presque impardonnable.

Non plus que les fantaisies de la mode, l’influence, cependant bien plus grande, des tendances moralisatrices et didactiques de son époque ne l’entraîne pas à s’écarter du réel. Alors que tous les romanciers du xviiie siècle sont, à des degrés différents, éducateurs et moralistes, et qu’ils exposent dans leurs ouvrages des théories religieuses, politiques ou sociales, cette jeune femme ne se soucie ni d’enseigner ni de convertir personne. Artiste, elle regarde la vie et fixe quelques-unes de ses images, sans prétendre y ajouter une légende édifiante. Aucun de ses romans ne contient une ligne qu’une femme, et une « lady » élevée dans un presbytère, pourrait jamais regretter d’avoir écrite, mais aucun, si l’on en peut tirer

  1. Bon sens et Sentimentalité. Chap. XVIII.