Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/470

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réussit à donner aux paroles d’un Mr. Knightley, d’un Darcy ou d’une Anne Elliot, le tour et l’accent qu’elles auraient dans des circonstances de la vie réelle semblables à celles qu’elle imagine. L’unique règle qu’elle formule plaisamment dans une de ses lettres à propos du style épistolaire pourrait être appliquée au style de ses romans. « J’ai atteint maintenant à la perfection de l’art épistolaire, laquelle consiste, comme on le répète toujours, à exprimer sur le papier ni plus ni moins que ce qu’on dirait si l’on était en présence de la personne à qui on écrit. Et, en vous écrivant cette lettre, j’ai seulement bavardé avec vous. » [1] — I bave been talking to you almost as fast as I could tbe Avbole of this letter. —

Dans « L’abbaye de Northanger » on relève quelques remarques humoristiques sur le « beau style » encore en vogue vers 1798. « Je ne sais pas parler assez bien pour être incompréhensible », dit la naïve Catherine Morland. Henry Tilney réplique que cette remarque est « une très bonne critique de la langue qu’on parle aujourd’hui ». Bien écrire consiste à dire exactement ce qu’on a l’intention d’exprimer et à le faire de façon à être entendu de tous. Les réflexions mi-plaisantes, mi-sérieuses du jeune Tilney sur l’emploi du mot « nice » indiquent chez celui qui les prononce, et chez l’auteur qui les lui attribue, une recherche exquise de la justesse de l’expression. « On applique ce mot à tant de choses différentes, à une promenade « agréable », à une « belle » journée, à des jeunes filles « charmantes », qu’il ne signifie plus rien du tout », déclare Henry, lorsque Catherine emploie à tort le vocable détesté. « Oh ! le mot charmant qu’est ce « nice » ! Il sert à tout. Autrefois, il servait à désigner la bienséance, la décence, la délicatesse, la distinction. Maintenant, une louange quelconque, décernée à un objet quelconque, s’exprime en cette seule et unique épithète. » [2]

  1. Lettres, 3 janvier 1801.
  2. L’abbaye de Northanger. Chap. XIV.