Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

poussé jusqu’au grotesque et au caricatural, ni la sérieuse Miss Edgeworth, ne possèdent le moindre sens de l’humour. Plus tard, l’œuvre brûlante de passion et de génie de Charlotte Brontë n’est jamais traversée par l’éclair d’une phrase ironique, et si George Eliot sait créer d’admirables figures humoristiques, sa large et puissante vision du réel contient un grand nombre d’aspects auxquels l’humour demeure étranger. Avec Jane Austen seule, l’humour, au lieu d’être un mode d’expression employé à l’occasion et dans certaines circonstances, apparaît à chaque page. Il est pour elle, comme pour Swift et Sterne, ces deux grands maîtres de l’ironie, l’attitude adoptée spontanément et toujours en face du réel.

Dans une lettre que nous avons citée et que Jane Austen adressa en 1816 au bibliothécaire du Prince Régent, elle définit, aussi bien que le lui permet son horreur de tout ce qui est abstraction et pensée philosophique, la seule attitude qu’elle se juge capable de prendre en écrivant un roman. Elle a besoin, déclare-t-elle, de n’être pas contrainte par un sujet trop sérieux à une gravité qui lui poserait et qu’elle n’aurait pas le courage de soutenir. Il lui faut « se laisser aller à rire d’elle-même et des autres ». Son humour, en effet, exprime un amusement perpétuel devant les apparences. C’est un rire discrètement moqueur dont l’ironie est sans âpreté comme sans amertume et qui, s’il n’a point de résonances profondes, possède cependant d’autres qualités que sa finesse et sa gracieuse légèreté. Tout en restant éloigné de toute large conclusion, tout en exprimant l’amour et l’acceptation de la vie, il est assez clairvoyant, assez juste et assez fort, pour percer à jour les faux-semblants de la vanité et de la sottise.

Une singulière parité unit les éléments dont se compose l’œuvre de Jane Austen ; sa psychologie, nous l’avons déjà vu, ne s’éloigne jamais des claires régions de l’intelligence et n’admet que des éléments où la raison peut retrouver une ordonnance, un enchaînement logiques.